Les yeux tournés vers le sol, les ailes échancrées en direction du ciel, c’est alors que des anges observent l’horizon de la terre avec un regard binaire. Faite de noir et blanc, cette introspection poétique d’un pan de l’humanité se poursuit aux quatre coins de la ville de Berlin, véritable personnage qui porte encore les stigmates non cicatrisés des fêlures de la souffrance (à l'instar de Andrzej Zulawski avec Possession), des barrières frontalières que s’imposent l’Homme et son Histoire.
Ils errent dans un Berlin à la diversité foisonnante de par son architecture et ses contradictions sentimentales, de par son individualité dans son immensité, et essayent alors, de redonner espoir à des êtres humains en proie aux doutes. Ils sont une présence insoluble, une main qui vient se blottir sur l’épaule d’une âme meurtrie, pour apporter un sourire à une pensée qui s’égare vers le malaise ; d’un adolescent vivant une déception amoureuse ou un vieillard au passé mortifère.
La caméra flotte autour des âmes humaines, se volatilise, est d’une virtuosité malléable qui se répercute avec l’aspect réflexif des idées noires. Wim Wenders et la photographie de Henri Alekan, fluidifient le fond à la forme, et amènent un aspect portraitiste, expressionniste à toutes ses composantes, ces visages, ces corps ensevelis sous le poids des mots. A l’écoute de ces nombreuses pensées qui nous sont introduites en voix off, il est parfois impossible de ne pas penser au travail narratif de Terrence Malick et son recueillement face à une espèce d’au-delà. Berlin devient alors le monde et sa représentation, sa corpulence et sa maigreur, sa fougue et sa lenteur, un assemblage d’individus, une mosaïque de fragmentation de pensées désabusées.
Damiel, l’un des anges, se pose des questions sur sa mission, sur sa volonté de l’infiniment petit par rapport à son immortalité qui le vampirise. Invisible, il ne reste qu’un esprit, dénué de toute matérialité, de toute chaleur. Et cette condition l’empêche de réaliser un rêve, rejoindre la femme qui l’aime. A travers son amour naissant pour une trapéziste en quête de liberté et d’amour, il envie de plus en plus la vie d’être humain. Les anges ont l’innocence mais n’ont pas la magie de la mémoire, ni l’expérience de la connaissance. L’humain, malgré sa mort inéluctable, est un être au cœur qui bat, où la fulgurance du simple plaisir fortuit amène au désir le plus certain. Il préfère, par miracle, s’éloigner d’une forme de sagesse grisâtre pour découvrir les nuances colorées, se couper les ailes et rester les pieds au sol, à jamais.
Malgré son isolement dans un scénario qui n’en est pas réellement un, Wim Wenders touche la grâce, et Les ailes du désir devient une œuvre torturée à la fois par les affres de la solitude mais aussi par la grâce de l’existence, la beauté d’une naissance, la chance d’être en vie, de respirer, de pouvoir avancer vers l’inconnu. Dans ces moments, Wim Wenders se questionne. Quelle place voulons-nous avoir sur cette Terre ? Comment marquer notre arrivée dans ce qu’on appelle l’histoire de l’humanité ? Laisser une trace, par la petitesse de notre présence auprès de la femme qu’on aime, s’ouvrir à elle toute entier, pour l’amener dans le « labyrinthe de la joie ».