La première fois que j'ai vu ce film, c'était avec mon ami Tristan. J'avais alors à peu près 20 ans et à cette époque, tous deux nous rêvions écrivains. Nous avions chacun une vieille machine à écrire chez nous, et nous nous trimballions partout avec un carnet pour prendre des notes.
Dans le film, Damiel (le héros) et Cassiel (son pote) sont deux anges qui errent dans Berlin. On peut imaginer qu'il y en a partout dans le monde, de ces anges. Toujours est-il que ces deux-là ont pour lieu de résidence principale la capitale allemande. Comme tous leurs semblables, ils ont une mission : observer et consigner. Aussi, comme mon ami Tristan et moi-même, se promènent-ils avec des carnets et notent-ils leurs observations.
A 20 ans, j'avais vu là une ode à l'art, à sa capacité de témoigner de la beauté de la vie. Et, tout comme Cassiel ou Damiel s'approchant (alors qu'on ne les voit pas) des malheureux pour leur transmettre un peu d'amour réconfortant, je me sentait débordant d'amour pour l'humanité, chaque fois que je consignais une scène de vie touchante, même toute anecdotique. C'était beau et je voyais là ma mission à moi aussi dans le monde. J'avais un but.
Le revoyant plus de dix ans après, j'en ai soudain une lecture très différente.
S'il y a bien une métaphore du rôle de l'écrivain, mais aussi du cinéaste ou encore du comédien (projection à travers les personnages du réalisateur Wim Wenders et de Peter Handke, co-scénariste et écrivain ; ou bien Peter Falk jouant son propre rôle), elle dit aussi en filigrane l'impuissance de ces rôles.
J'ai appris récemment que Wim Wenders avait réalisé ce film après une longue période états-unienne : il redécouvrait alors son pays (toujours séparé à l'époque par le mur de Berlin, que l'on voit dans le film). Peut-être l'a-t-il vu douloureusement, et comme un étranger.
Il y a ça de palpable dans tout le film : un hommage à son pays, son Histoire, ses habitants, à Berlin (je ne parle pas allemand, mais je crois que le titre d'origine signifie précisément Les Anges de Berlin).
Je suis sûr qu'on pourra dire que c'est aussi une formidable histoire d'amour. Et le remake américain avec Nicolas Cage joue bien de cette corde sensible là. Mais, en fin de compte, c'est plus un hymne à la vie. Et pas spécifiquement un hymne grandiose et grandiloquent. Tout s'y attache à montrer les petites choses qui font l'existence quotidienne : nos pensées embrouillées, les moments de doute, le goût du café, la douleur, les blessures, le goût du sang, le froid, la musique... d'épisode anecdotique en épisode anecdotique, tous nos sens sont sollicités. Et pas seulement avec les sensations agréables.
Au bout du compte, le vrai message du film, est transmis mélancoliquement par Damiel à Cassiel, lors d'une de leurs discussions : être de simple esprits (c'est-à-dire écrivains/cinéastes/comédiens/penseurs/témoins) n'est pas suffisant, et n'a d'ailleurs aucun sens si on ne vit pas. Il y a dix ans je ne l'avais pas compris.
Aujourd'hui, je le sais, c'est pourtant ce qu'il y a de mieux, être en vie. Marcher dans la rue, boire un café, parler avec des amis, être dans les bras d'une fille, danser, se faire mal, sentir le soleil sur son visage, sentir le froid qui te saisi, être sous la pluie, avoir faim, manger... et écrire, que ce soit ici ou ailleurs, n'a pas de sens sans ça.