C'est en voyant Les Amants de la nuit que j'ai vraiment compris et apprécié le cinéma de Nicholas Ray. Par exemple, c'est là que j'ai compris l'attachement de Ray pour les marginaux, ceux qui, volontairement ou (plus souvent) involontairement, sont placés hors de la société, à l'écart, par rejet ou par peur.
Trois détenus s'évadent de prison. Parmi eux, Bowers, un jeune homme, (vingt-trois ans, dont sept passés derrière les barreaux) qui conteste sa culpabilité et rêve de se payer un avocat qui prouvera son innocence. Dans une cache, il rencontre une jeune femme, Keechie, dont il tombera amoureux.
Bowers va alors être écartelé dans deux directions opposées. D'un côté, ses compagnons d'évasion vont l'inciter à participer à des hold-up de banques. Dans un premier temps, il sera volontaire pour le faire, voulant jouer les durs pour impressionner ses alliés. D'un autre côté, il y a Keechie, ses rêves de couple et son désir de sécurité. Très vite, tout cela deviendra inconciliable.
Scénario classique ? En apparence. Mais ce couple est, à mes yeux, un des plus beaux du cinéma hollywoodien. Et cela, on le doit à la réalisation exceptionnelle de Nicholas Ray. Il filme les deux amants dans des situations quotidiennes, loin de l'idéalisation que l'on peut rencontrer dans les autres films (le couple au réveil, par exemple).
Ray joue aussi sur l'ambiguïté sexuelle des personnages. Les deux compagnons de Bowers insistent sur une domination d'ordre sexuelle sur le jeune homme. De même, pendant tout le début du film, Keechie a une attitude plutôt masculine. Son costume, ses taches de graisse, sa capacité à changer une roue et même les jeux d'ombre obligent à se poser la question de son identité sexuelle. Le film verra la progression de la fille androgyne vers la superbe femme amoureuse.
Car il s'agit aussi d'un film d'apprentissage. L'amour y devient un rituel de passage vers l'âge adulte, l'âge des responsabilités, mais aussi du bonheur. Un bonheur contrarié, rendu impossible par les différentes réalités sociales. Les amants sont non seulement rejetés de la société, obligés de se cacher, mais ils doivent aussi fuir leurs congénères bandits. Plus aucune solution n'est possible : Bowers le comprendra vers la fin, quand il aura épuisé toutes les éventualités. Le spectateur est déjà averti depuis quelques temps. Le film est une tragédie. Celui qui est marginalisé n'a aucune chance de reconquérir son honorabilité.
Outre une formidable interprétation, c'est avant tout la réalisation qui frappe. Les jeux d'ombres et de lumières (les ombres sont si importantes qu'elles cachent parfois entièrement les personnages), le montage audacieux, les ellipses, le parti-pris ultra-réaliste (à l'opposé de nombre de productions hollywoodiennes de l'époque), les plans serrés sur les visages, le rythme particulier, tout fait de ce film une sorte d'OVNI pour son époque, une œuvre extrêmement innovante. Premier film de Nicholas Ray, début de la carrière d'un cinéaste majeur.
SanFelice
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le 27 mai 2012

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SanFelice

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