[Mouchoir #16]
J'aime Jacques Prévert. La manière qu'il a de porter la franchise — même profondément crue — des personnages comme étant la chose la plus touchante qui soit. Sa poésie qui se joue de la vraisemblance orale en jouant avec les rappels de mots, les consonances et allitérations, et construit une posture théâtrale qui provient avant tout de ce qui sort des bouches.
J'aime Anouk Aimée. À ses tous débuts, on l'imagine déjà plus tard, par un tour de magie qu'exécute notre imaginaire cinématographique. Une fois qu'opère le charme, elle sort du film, déjà rêveuse d'autre chose, d'être autre part. Reste à l'écran, une beauté hypnotisante.
J'aime Joseph Kosma. Surtout sa façon d'amener un romantisme doux d'antan, ainsi qu'une grandiloquence divine dans l'utilisation de ces voix à l’unisson. Puis sans crier gare, tu te rappelles que Roméo et Juliette est une tragédie, dès lors que la Toccata et fugue en ré mineur résonne, le rythme te collant au siège que tu n'aurais jamais dû quitter.
J'aime Pierre Brasseur. Son jeu est l'un des plus émouvant du paysage cinématographique français. Se voulant gentleman, il se brûle, quelque soit le rôle, toujours les ailes. Meurtris dans sa chute, il retourne souvent au même rôle, celui de la petite frappe du Quai des brumes. Si l'on a pour lui de la pitié, c'est que sous sa cruauté, se cache toujours une douleur de ne pouvoir jamais être aimé, condamné à être celui qui aime sans retour. La violence devient sa révolte vaine.
Et par dessus tout, j'aime Henri Alekan. La douceur de ses images en fait l'impressionniste du cinéma français par excellence. Tout semble brume, amené à disparaître, comme ces ruines, vestiges du passage de la guerre sur Vérone. Dans ce grand théâtre, les lumières du plateau s'éteignent une à une, jusqu'à ce que seul·e·s Roméo et Juliette resplendissent, à la vie, à la mort. Dans sa photographie se décèle autant la fin de tout, l'adieu tragique, que l'amour de l'image, la revendication de l'impossible ; et par dessus tout l'éloge de l'Amour. Éternité je crie ton nom, afin de croire en ton existence absolue.
[22/03/18]