"Les Architectes" fait partie de ces films qui sont d'un intérêt vraiment supérieur à travers la place qu'ils occupent dans l'histoire du cinéma, pour l'image d'une époque qu'ils renvoient, plus que dans leur contenu intrinsèque. Tourné en 1989 en plein tumulte autour de la chute du mur de Berlin, avec pour point focal les difficultés existentielles de la population est-allemande, le film revêt une importance singulière. À la fois en retard et à l'heure quant à l'histoire nationale. D'un côté, il sortira après la chute du mur et proposera ainsi une vision déjà ancrée dans le passé : sans doute que cela a contribué à l'échec commercial du film à sa sortie (on peut imaginer que l'air du temps poussait à regarder dans une autre direction). Mais d'un autre côté, il offre le témoignage d'un état d'esprit très particulier, à travers les intentions des auteurs, comme un retour dans le passé à un instant précis de l'histoire allemande.
La trajectoire d'un groupe d'architectes mandatés par le pouvoir officiel est quelque part très attendue : d'abord choisis pour impulser un certain renouveau dans la réhabilitation d'une banlieue berlinoise typique de la RDA, ils se retrouveront progressivement bridés dans leur créativité par les pressions du pouvoir politique. C'est l'un des derniers films produits par la DEFA (Deutsche Film AG, le studio d'État qui exista de 1946 à 1990) et on ne s'y trompe pas, tant il flotte sur ce film une ambiance de fin du monde. Ou, du moins, fin d'un univers déclinant, celui de la RDA.
Dans l'opposition constante entre la créativité, l'originalité, la jeunesse, et la monotonie des cadres vieillissants, "Les Architectes" n'est pas particulièrement original (vu d'aujourd'hui). Dans la propagation du mal-être dans les sphères privées, non plus. Il se fait même insistant et un peu trop didactique à plusieurs reprises, dans la relation entre le protagoniste et sa femme mais aussi dans le final où il se saoulera au pied de l'estrade qui était censée servir de promontoire au lancement de son grand projet, amputé. Mais il arrive parfois à faire sentir l'emprise de l'ancienne génération sur la nouvelle de manière percutante, comme un carcan institutionnel inébranlable, un horizon idéologique indépassable. Il embrasse l'époque dans sa transition, d'une certaine manière, alors que ce n'était pas l'objet initial. Une peinture figée de la stagnation, de la suffocation, de l’inflexibilité et de la désillusion.