Jean Epstein était un véritable génie français, qui devrait être aussi connu qu'un Murnau s'il y avait une justice.
"Les aventures de Robert Macaire" est un film muet restauré dans les années 2000 qui est divisé en "aventures" (comme les chapitres d'un livre) et retrace les tribulations du bandit Robert Macaire et de son fidèle Bertrand. Robert est une sorte d'Arsène Lupin, élégant, as du déguisement, des bonnes manières, grand habitué des pseudonymes, et pickpocket de haut vol. Son truculent assistant, Bertrand, est rusé, glouton, beau parleur, lâche et âpre au gain. L'action se passe sous la Restauration.
Nos compères jouent des tours à une fermière avare, entrent dans le chateau du marquis dont ils ont sauvé par hasard la fille Louise, tombent amoureux (Robert de la fille, Bertrand de la servante), s'enfuient quand ils sont démasqués, rançonnent une femme de soldat malhonnête, sont pris, font sept ans de prison, montent une société qui arnaquent les petits actionnaires, se font encore prendre, et finalement essaient d'arnaquer un escroc pour faire une bonne action. La dernière séquence montre les deux amis dépenaillés, vieillis, au bord d'un chemin. Tandis que l'un vole la montre de l'autre, ce dernier lui pique sa tabatière. Ils continuent leur chemin en riant malgré tout.
C'est un film comique, truculent. Les mimiques de Bertrand font penser à la tradition du cirque : Robert est le clown blanc, le sérieux, et Bertrand est l'Auguste, qui fait toutes les bêtises et ne tient littéralement pas en place. Toutes ses interventions, à casser des assiettes, manipuler dangereusement un fusil, sortir de sa poche un chapelet de montres devant un gendarme qui fait les gros yeux, se déguiser en femme, déclenchent les éclats de rire.
La photographie est sublime. Petits torrents bordés de gravier et surplombés d'une falaise, chemins creux encadrés de branches tombant harmonieusement, ponts vertigineux passant un torrent, chemins montant une faible colline avec au fond une chaîne de montagne que je n'ai pu identifier, cimetière, jardins à la française, salle de bal, escalier à double volée du chateau, passage secret : tous les décors sont utilisés au maximum de leur potentiel, avec ces contrastes fort qu'aime Epstein. On notera un jeu sur les reflets : reflet dans l'oeil de Louise quand elle rencontre Robert, reflet sur l'épée de celui-ci quand il dégaine pour se défendre, etc... Il y a aussi un certain nombre de fermetures à l'iris (parfois même sur fond blanc), qui suggèrent de toute évidence une intensité particulière du regard d'un personnage sur un détail. La composition de certaines images évoque des gravures de type Daumier.
Au niveau de la réalisation, le rythme est assez lent, mais je ne connais pas les détails de la restauration : s'agit-il du découpage voulu par Epstein ou non ? Mystère. Il n'y a pas cependant de longueurs (même si, voyant ce film à la cinémathèque un samedi soir après une dure semaine, je luttais un peu contre le sommeil). Il y a peu d'audaces comme on en trouve dans "La chute de la maison Usher". Au début j'ai vu une tentative de panoramique maladroite sur une chaîne de montagne : l'effort est louable, mais le plan est tremblé et un peu saccadé. Au niveau narratif, il y a plusieurs flash-backs ou plans correspondant à des pensées de personnage, annoncés par des fondus sur la personne en train de penser ou parler, avant et après (gageons que les spectateurs n'étaient pas encore habitués à ces procédés). Un plan mémorable à ce sujet est celui de la grand-mère radotante en train de raconter d'horribles histoires sur Robert Macaire et de foutre les jetons à toute une famille : très drôle. Le découpage est très savant, avec des plans qui forment des détails de plans plus généraux, un découpage de l'espace qui triche un peu des fois mais qui est redoutablement efficace, des jeux sur la profondeur de champ très en avance sur leur temps : je songe notamment à ce plan d'une allée de chateau vue dans l'encadrement d'un portail, vers lequel on voit les deux compères (Bertrand le petit et Robert le grand) arriver. Plus ils s'approchent, plus on voit qu'ils sont dépenaillés. Quand ils sont assez près, deux oies, une petite et une grande, entrent par la gauche : effet d'échos humoristiques avec les héros. Le film fourmille de résonnances comiques de ce genre, très pensées.
"Les aventures de Robert Macaire", au niveau du fond, est simplement un roman picaresque qui se conclue sur une ode à l'amitié, mais sur le fond ce film est une véritable déclaration d'amour au cinéma : c'est un film intelligent, stimulant, qui a tout pour déclencher des vocations.