Le meilleur chevalier du monde
Richard Cœur de Lion, parti en croisade en l'an de grâce 1191, est fait prisonnier par Léopold d'Autriche sur le chemin qui devait le ramener en Angleterre. Sa rançon s'élève à 150 000 marcs et il incombe à son frère cadet le prince Jean de l'honorer. Mais telle n'est pas son intention à lui qui, depuis la cour de Nottingham et avec la complicité de Guy de Gisbourne et de tous les normands, nourrit des ambitions supérieures. Ne se préoccupant ni du sort de son frère, ni de celui du régent en place, il se lance alors dans une vaste campagne censée le mener tout droit au trône d'Angleterre, quitte à saigner son peuple par les armes et les taxes. Mais un chevalier saxon, fervent patriote et loyal sujet du roi Richard répondant au nom de Robin de Loxsley, mène la fronde contre l'injustice et s'oppose au vil dessein du prince Jean à la tête de son armée sylvestre de proscrits, dont les rangs se gonflent à mesure que les exactions normandes se radicalisent. Voilà pour l'histoire que tout le monde connaît.
Depuis deux ans (nous sommes en 1937), la Warner a lancé la production des Aventures de Robin des Bois sous la direction de William Keighley avec Jimmy Cagney dans le rôle titre. Keighley sortait alors du tournage du Prince et du pauvre (déjà avec Flynn) et Cagney attendait encore le rôle qui devait le propulser au sommet (il n'aura pas à attendre très longtemps car il jouera l'année suivante avec Bogey, O'Brien et Sheridan dans le Angels with Dirty Faces de Curtiz). Mais la pré-production s'éternise faute de scénario solide et Cagney, engagé ailleurs, ne peut qu'abandonner le projet (le couple qui l'aurait du former avec Olivia le sera tout de même trois années plus tard dans l'excellent The Strawberry Blonde de l'immense Walsh). Outre le défilé des scénaristes, Douglas Fairbanks, qui avait tourné la précédente version en 1922, freine des quatre fers et empêche la Warner d'utiliser ses idées et séquences qu'il avait soigneusement pris de protéger derrière un copyright. Peu importe, Errol Flynn est engagé et le tournage peut enfin commencer. Ce dernier, sous la tutelle de Hal B. Wallis, est d'une ampleur sans précédent. Il s'étalera du 27 Septembre 1937 au 25 Janvier 1938 (exceptionnel pour une époque où un mois était généralement suffisant) et coûtera la modique somme de deux millions de dollars d'antan soit 315 millions de dollars actuels!!! Il bénéficiera de plus de la récente technologie technicolor encore rare à l'époque. Son casting, prestigieux, réuni outre le couple le plus mythique du cinéma, Basile Rathbone dans le rôle du sénéchal Guy de Gisbourne (qui pour la seconde fois tente de ravir Olivia à Errol après Captain Blood), Claude Rains dans celui du Prince Jean (qui pour la seconde fois tente de ravir le trône d'Angleterre après Le prince et le pauvre) ou encore Alan Hale, fidèle compagnon et ami de Flynn, dans le rôle de Petit Jean qu'il endossera trois fois au cours de sa carrière (la version de 1922, celle de 1938 et dans celle de 1950 La revanche des gueux). Il faut d'ailleurs rendre hommage à Rathbone qui passe pour un parfait enfoiré dans Captain Blood et Les Aventures de Robin des Bois, et pour un parfait gentleman dans le costume de Sherlock Holmes ou comme aviateurs dans The Dawn Patrol (où il joue quand même l'enfoiré la moitié du film). Comme quoi l'avis qu'on a d'un acteur a beaucoup à voir avec le rôle qu'on le voit interpréter. Autre ami fidèle de l'acteur, David Niven, avec qui il venait d'acheter une maison sur la plage de Malibu baptisée "Cirrhose-sur-mer", devait interpréter le rôle de Willy l'écarlate qui échu finalement à Patric Knowles, Niven se trouvant à ce moment-là en Angleterre.
En cours de route toutefois la production connaît un changement de réalisateur et à Keighley jugé trop mollasson dans ses prises de décisions (et notamment concernant les retards et le comportement toujours nonchalant et blagueur de Flynn) et pas assez nerveux dans sa mise en scène, succède le vétéran d'origine hongroise Michael Curtiz qui retrouve pour l'occasion l'acteur pour la troisième fois et l'actrice pour la quatrième (elle a tourné dans Gold Is Where You Find It que Flynn n'a pas tourné). Avec Curtiz à la barre, c'est un nouveau tournage. C'est qu'il s'agit de filer droit. Compte tenu de sa grande complicité avec Flynn et du haut de son expérience avec le diable tasman, il lui impose une discipline de fer (bon, il avait soit-disant déjà fait pendant Captain Blood ce qui n'avait pas empêcher l'acteur de s’envoyer des rasades de vodka plusieurs fois par jour) et le dirige d'une main de maître : "Votre Robin des Bois est un héros frémissant de vie. Mettez-vous cette vérité bien en tête et faites-moi lire ce frémissement dans vos yeux" lui explique-t'il. Le résultat est édifiant, Flynn habite littéralement son rôle : il est plus virevoltant, séduisant et gouailleur qu'il ne le sera jamais. Sa meilleur prestation avec son interprétation de Jim Corbett dans Gentleman Jim.
Le film sortira en Mai 1938 et sera un succès critique et public indéniable, remportant les millions qu'il avait coûter et plus encore, et considéré, à raison, comme le premier chef d’œuvre du septième art depuis l'avènement du parlant. Le New-York Times écrira par exemple : "Un spectacle éblouissant, romantique, somptueux. Il enchantera les enfants, rajeunira les vieillards et charmera ceux qui sont entre les deux". Le film remportera trois oscars l'année suivante (musique, direction artistique et montage) mais Curtiz, pourtant cité deux fois à réalisation pour Four Daughters et Angels with Dirty Faces, ne le sera pas pour celui-ci.
De tous les films qui me sont chers, celui-là à une place particulière. D'une, parce qu'il réunit un de mes acteurs préférés (Errol of course) et mon actrice favorite (Olivia, je t'aime) derrière la caméra d'un des réalisateurs que j'estime le plus (Curtiz) et de deux parce qu'il est, des dix films qui composent mon Top, celui qui y figure depuis le plus longtemps (depuis que j'ai 6 ou 7 ans je dirai). Que dire. Tout le film n'est qu'une succession de duels flamboyants, de joutes épiques et d'embrassades romantiques. Que dire d'Errol, le meilleur chevalier du monde, qui emprunte tant à Perceval lorsqu'il pénètre à la cour de Nottingham faisant fi de toute convention, un cerf sur les épaules (celui qui ornera l'écu de Perceval), qu'à Lancelot lorsqu'il monte sur la charrette d'infamie pour l'amour du roi, de la patrie et d'Olivia et qu'à Yvain lorsque, venant à bout du complot fomenté par le prince Jean, il gagne l'estime du Roi Richard et de son Cœur-de-lion. La comparaison avec la légende arthurienne ne s'arrête pas là car la traitrise fraternelle du prince Jean alors que son frère ainé est en croisade n'est pas rappeler celle de Mordred envers son père le Roi Arthur alors en guerre en France. Errol, un chevalier pour les réunir tous donc, en quête du Graal, j'ai nommé Olivia de Havilland. Superbe, splendide, merveilleuse, éblouissante, le dictionnaire regorge de qualificatif élogieux qui lui siéraient à merveille. Mais elle n'est pas qu'une princesse amoureuse de son chevalier dévoué. Elle aussi la pupille du roi et sa fidèle alliée. Elle n'hésite pas à repousser son mariage avec Errol pour anéantir toute prétention du prince Jean d'accéder au trône. La scène qu'elle a sur son balcon avec Flynn accroché au lierre en train de lui conter fleurette et de la bécoter est la plus belle du film. Le reste du film n'est pas en reste d'adjectifs dithyrambiques, de la musique fracassante à la reconstitution impressionnante de réalisme des fastueuses grandes salles, palais et chambres du château de Nottingham en passant par les costumes hauts en couleurs et le technicolor flamboyant. Si les films d'aventures de la Warner des années 30 et début des années 40 sont aux cinéma ce que les romans courtois de Chrétiens de Troyes, Raoul de Houdenc et Robert de Boron sont à la littérature, Les Aventures de Robin des Bois est leur chef d’œuvre.
"Then kneel and swear this oath. That you, the freeman of the forest, swear to despoil the rich only to give to the poor. To shelter the old and helpless. To protect all women, rich or poor, Norman or Saxon. Swear to fight for a free England. To protect her loyally until the return of our king and sovereign Richard the Lion-Heart. And swear to fight to the death against our oppressors".