Qu’est-ce qu’un blockbuster en 1938 ?
C’est cela : un technicolor flamboyant où les costumes rouges et verts claquent à l’écran, où les couchers de soleil sont des tableaux et les biens précieux des riches nantis ont l’éclat du péché véniel, ou le vin coule comme du sang et les chiens déchirent les chairs délicates tandis que les gueux crèvent la faim dans les forêts de Sherwood. Bois sous lesquels l’eau scintille, les troncs forment des ponts et les chevaux traversent les rivières en gerbes de lumière au crépuscule.
C’est cela : une gestion des foules à nulle autre pareille, entre banquets grandiloquents, obscènes d’opulence dans les châteaux ou insolents de révolte au grand air, tournois aux centaines de figurants, arbres chargés de rebelles et convois officiels transportant impôts et belle au cœur résistant.
C’est aussi le sens du détail, et l’exploitation du moindre accessoire au service de l’action pure : lames luisantes, tables retournées, chaises renversées, escaliers circulaires, créneaux et corridors, tours escarpées : le décor est un terrain d’aventure, un parcours à obstacles sur lequel va bondir notre héros.
C’est surtout un sens du rythme inégalable : la sédition est ici prise avec le sens profond du carnavalesque : non seulement un renversement des pouvoirs, mais aussi une fête. Lorsqu’on dispose d’un comédien ayant la prodigieuse énergie d’Errol Flynn, impossible de faire autrement : le héros bondissant et pétillant qui deviendra à juste titre un renard chez Disney 35 ans plus tard crève la toile. Quitte à mettre à terre l’ordre établi, autant le faire dans un grand éclat de rire, de l’enrôlement des nouvelles recrues à l’humiliation des ventripotents, de la séduction de Marianne à la provocation du tyran. Robin des bois, c’est l’incarnation de l’insolence, dans ses répliques comme dans sa geste, ouragan qui traverse les salles luxueuses des châteaux et emporte tout sur son passage, dans ses flèches aussi acerbes que son regard, qui signent et revendiquent sa désobéissance civile.
Jovialité, hardiesse, souplesse, malice : Robin des bois est le personnage parfait pour ce film parfait, qui ajoute au savoir-faire et à la beauté visuelle ce petit supplément d’âme qui a toujours, mais rarement, hissé les grandes figures vers l’héroïsme atemporel : le panache.