Ca grandit vite, une Hushpuppy...
(Attention, potentiel spoiler élevé)
C'est plutôt rude, la vie dans les bayous, tout comme les gens qui y vivent... Des cabanes assemblées de bric et de broc, certaines ayant l'air plus solides et salubres que celles de Hushpuppy et de son père, posées sur des genres de parpaings en équilibre. Rien ne laisse présager la poésie, la fragilité, l'amour, par ici... Ou pas l'amour tel qu'on peut l'entendre, nous, spectateurs lambda confortablement installés dans son fauteuil de cinéma.
Parce que l'amour y est rude, aussi. Hushpuppy vit avec son papa dans le Bassin. Cette petite phrase résonne un peu en leitmotiv. Papa absent, papa qui disparaît plusieurs jours pour revenir en chemise d'hôpital, papa alcoolique, papa qui tendrait à être violent. Et cet ordre qui est presque une supplique, adressée à sa fille : "pas pleurer !"
Et quand Hushpuppy du haut de ses six ans, sent qu'elle est dépassée, c'est sa mère qu'elle appelle, en regardant au loin, parfois, une lumière qui brille. Sa mère, la grande absente qui les a abandonnés.
La nature est omniprésente. On mange du ragoût d'alligator (j'adore), et on pêche des kilos d'écrevisses, de crabes et de poissons-chats... On se différencie des autres, ceux qui habitent de l'autre côté, qui ont une maison, une voiture et un travail, ceux qui ont tant d'attaches, tant de contraintes... Ceux qui vivent dans le Bassin y sont enracinés, et le bayou alimente leur identité, devient indissociable de ce qu'ils sont. Ces arbres tordus, ces eaux boueuses, ces personnages crasseux buvant dans des verres douteux de l'alcool qu'ils font sans doute eux-mêmes, forment un contexte dépaysant qui impliquent le spectateur dans cette vie qui lui est pourtant étrangère.
Et il y a le geste de trop de ce papa qui ne sait pas l'être, qui n'en a peut-être pas envie... Il frappe sa Hushpuppy, et quand elle se relève, cette gamine à qui il demande constamment d'être forte, elle le frappe en retour, au coeur, et son père ne se relève pas. Alors, elle met en lien cet évènement avec les histoires que raconte cette femme qui s'occupe un peu de tout le monde dans la communauté, des enfants et des plus faibles. Des histoires qui parlent des aurochs, les bêtes les plus féroces qui ont existé, qui ne craignaient personne. Alors, Hushpuppy se dit qu'elle a déséquilibré le monde en faisant tomber son père.
Et cette petite tête de Hushpuppy se dit qu'elle a provoqué le déferlement de la nature. La fonte des glaces, et le cyclone qui les menace, c'est elle ! Et ces aurochs qui, libérés de leur tombe de glace, courent vers eux, renversant tout sur leur passage, c'est elle aussi !
On suit alors quelques inquiets du Bassin, qui ne veulent pas affronter le cyclone qui arrive, et font leurs bagages, raillés par ceux qui restent, les vrais de vrais. Et ceux qui restent consolident leurs maisons de bric et de broc, descendent des bières pour se donner du courage pour ce qui va ressembler à la cuite du siècle, la cuite des désespérés. Hushpuppy et son papa restent dans leur cabane, et affrontent les éléments. On peut voir un des seuls gestes d'amour qu'aura ce père pour sa fille : lui mettre des brassards, et lui faire promettre qu'elle ne les enlèvera pas...
Le cyclone arrive, les eaux montent, les aurochs avancent, inexorablement, contre les flots. Ils mangent un des leurs au passage, sauvagerie sans cesse rappelée. Et Hushpuppy et son père émergent du toit de leur cabane comme des naufragés, portant leur ridicule petit clébard. Ils constatent les dégâts, montent dans leur improbable bateau pick-up, et visitent ceux qui sont restés.
Un des voisins sort de sa cabane, une bière à la bouche, et plonge dans les eaux boueuses, aussitôt repêché par le père d'Hushpuppy. Les habitants du Bassin se réveillent d'une longue nuit de cuite, la bouche pâteuse mais le sourire aux lèvres. Ils sont vivants. Ils vivent totalement coupés du monde pendant quelques jours, et d'autres naufragés sont là : un cheval sur une berge, et cet épouvantable ciel bleu qui fait comme si tout était beau. Mais le Bassin pourrit, il ne pleut plus depuis deux semaines, et des cadavres finissent par contaminer l'eau. Un improbable groupe d'habitants va alors mener une opération commando pour survivre, encore, et surtout, sans aide.
L'aide leur sera imposée, ils seront littéralement enlevés par les autorités, ces sauvages du Bassin, rassemblés, parqués dans un gymnase avec d'autres gens comme eux. lls seront soignés, lavés, nourris, Hushpuppy ira même à l'école dans une jolie robe propre, comme si c'était une autre petite fille, mais pas une Hushpuppy du Bassin.
Ils ne trouvent pas leur place dans celle qu'on leur impose, alors ils prendront la fuite, même si dans cette fuite, le père de Hushpuppy, dont tous apprennent qu'il est très malade, se condamne assurément.
Et on se rend compte, douloureusement, que le père n'avait de cesse d'apprendre cela à sa fille : à se passer de lui.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.