La bleusaille en folie
Nous voici aux racines du cinéma comique troupier et parlant français. Écrit par Jean Manse - meilleur ami, beau-frère et auteur quasi attitré des films de Fernandel - et réalisé par le non moins...
le 15 avr. 2019
Nous voici aux racines du cinéma comique troupier et parlant français. Écrit par Jean Manse - meilleur ami, beau-frère et auteur quasi attitré des films de Fernandel - et réalisé par le non moins complice Maurice Cammage, "Les Bleus de la marine" est une joyeuse comédie, jamais avare en oeillades amicales et bon enfant envers son public. L'humour est d'un autre âge, faisant la part belle aux cocus (le film fût d'ailleurs interdit en Angleterre car jugé immoral : on y mettait en scène une femme adultère...!), aux blagues potaches, aux quiproquos éhontés et aux déguisements farfelus. Tout le monde s'amuse et c'est diablement communicatif.
On sent que c'est un cinéma encore très attaché au théâtre de boulevard. Cependant, contrairement à Jean Boyer par exemple, Cammage s'évertue à travailler un découpage technique riche en valeurs de plans. Le montage, pour l'époque, est assez alerte. Malgré les situations convenues du vaudeville et le jeu marqué des comédiens, on sent que le metteur en scène mouille sa chemise pour faire du cinéma et s'éloigner le plus possible du théâtre ou du music-hall, malgré le flagrant manque technique dû à l'époque, certes, mais aussi à un faible budget. Il faut dire que les années 30 fût une époque bénie pour le cinéma français. Avec l'arrivée du parlant et le manque de moyens, tout était à (ré)inventer, il fallait s'adapter aux nouveaux goûts du public et Cammage trouva, en terme de réalisation et de montage par exemple, plusieurs idées de raccords assez élegants et audacieux pour l'époque (mais devenus convenus aujourd'hui). Maurice Cammage est un cinéaste malheureusement oublié. C'était l'artisan de tout un pan d'un certain cinéma populaire français. Un style désormais disparu des radars. Et pourtant, il est difficile de cracher sur ce cinéma généreux, qui donne tout à son public, chantre d'une époque révolue où les classes populaires et bourgeoises riaient des mêmes films.
Le film doit beaucoup à son duo de choc : Ouvrard/Fernandel. Si tous deux étaient de jeunes vedettes à cette époque, l'un deviendra une légende quand l'autre tombera malheureusement dans l'oubli. J'ai lu ou entendu plusieurs témoignages à propos du comportement assez désagréable de Fernandel vis à vis de certains de ses partenaires, une fois vedette, sur les plateaux. Très égocentrique, désirant être le seul à recueillir les rires des spectateurs car ils viennent voir les films pour lui, il n'hésitait pas à se mettre en avant dans les plans tournés de telle manière à ce que ses partenaires ne le soient pas plus que lui, chipant une réplique ou le tic d'un camarade de jeu pour demeurer LA vedette comique de SON long-métrage. Je me demande si Fernandel se comportait déjà ainsi ici, à ses débuts... En tout cas, je dois admettre que s'il y en a bien un qui tire son épingle du jeu, c'est bien lui. C'est tout d'abord très plaisant de suivre un jeune Fernandel. On découvre les prémices de ce qui fera son triomphe durant plusieurs décennies. Il ne vampirise pas le film comme il le fera plus tard quand il deviendra une immense star, il n'est là encore qu'un comédien au service de l'histoire. Au moment des "Bleus de la marine", Fernandel n'est pas encore devenu un style de film à lui tout seul mais il est, ici, en proie à le devenir et c'est assez fascinant d'assister, en quelque sortes, à sa naissance. Il illumine la pellicule par sa faconde, ses mimiques et son agréable énergie. Quant à son comparse Ouvrard, maitre ès du comique troupier d'alors, il se fait clairement distancer par son jeu. Si Fernandel joue "cinéma", Ouvrard joue "théâtre". Voila surement pourquoi l'un a marqué l'Histoire du cinéma français et pas l'autre. Ouvrard est immensément sympathique, souvent drôle, à la gaiété parfaitement communicative. Cependant, son jeu outrancier, dans la droite lignée de ce qui se faisait sur scène à l'époque, accuse le poids des années tendis que Fernandel avait déjà compris la nuance qu'il faille apporter sur un plateau de cinéma, dosant le bon équilibre entre le cabotinage irrésistible et un jeu plus réaliste. Toujours est-il que le duo fonctionne et participe beaucoup à la bonne humeur que dégage ce long-métrage.
Une bonne humeur qui dédramatise tout, symptômatique d'une époque d'entre deux guerres où le rire était omniprésent. On rit ici de l'infidélité, de la désertion, on bafoue les institutions et l'autorité, on chante là tous en choeur les vertues de la marine... Une dédramatisation systématique de tout ce qui peut causer problème... Tout est mis en place pour prendre du plaisir, une époque épicuriène que l'on retrouve avec délice dans cette comédie sympathique. L'ensemble est aussi désuet que gentillet, ce qui peut autant consitituer un redoutable atout qu'un défaut majeur selon votre humeur ou votre sensibilité. Un film pas foncièrement innocent mais résolument coquin.
Le scénario enchaine les facéties des uns et des autres. Au bout de trois quart d'heure, on se demande réellement où tout cet enchainement de saynetes va nous conduire puis, finalement, tout se recoupe dans le troisième acte et les situations deviennent réellement amusantes. Tous les gags mis en place précédemment viennent finalement s'entrecroiser à la fin, se cogner les uns contre les autres et donnent alors un ensemble cohérent, ordonné et jubilatoire car ce que l'on croyait être un catalogues de gags ou de situations comiques forme en réalité un escalier comique menant à un climax humoristique suranné, certes, mais non moins savoureux. La surprise est très agréable et constitue une plus value certaine.
Il faut aborder ce long-métrage comme une curiosité, ou plutôt comme un témoignage de son temps. Si vous désirez savoir de quoi riaient vos grands ou arrière grands parents, regardez cette comédie. Quelques situations fonctionnent encore très bien aujourd'hui si vous êtes indulgent et bon public. Il faut entrer dans l'esprit du film et surtout de l'époque. Si bien d'autres long-métrages de cette même période sont encore modernes et d'actualité de nos jours, "Les Bleus de la marine" en est le parfait contrepied. Ce qui le rend finalement d'autant plus attachant.
Créée
le 15 avr. 2019
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