Un Godard terriblement mesestimé que j'ai défendu, que je défends et que je défendrai toujours bec et ongles, quoi qu'il advienne ! Bien plus politique que le pourtant remarquable Petit Soldat réalisé trois ans plus tôt Les Carabiniers est moins un film de guerre qu'un film sur les films de guerre : foncièrement an-esthétique et anti-spectaculaire ce brûlot mal taillé - logiquement dédié au grand Jean Vigo au détour d'un générique joliment puéril - nous entraîne au coeur d'un pays imaginaire peuplé de personnages moralement limites et limités, en partance pour une guerre prétendue salvatrice par un Roi dont on ignore la véritable identité...
Toute cette parabole - pas toujours très subtile certes - est pourtant d'une grande intelligence satirique et cinématographique. Montrant la guerre comme une énorme plaisanterie directement sortie du Candide de Voltaire l'auteur de A bout de Souffle livre là l'un de ses films période Nouvelle Vague les plus radicaux, et néanmoins l'un des moins bien accueillis par la critique et le public de l'époque. Les Carabiniers est une sorte de hiatus cinématographique prolongé sur près de 80 minutes de Noir et Blanc délavé, d'effets sonores crachoteux et d'à-coups rythmiques délibérément déconcertants...
Le film de Godard ne cherche jamais la sympathie de son audience, encore moins son attirance plastique. Pourtant ludique et paradoxalement très accessible Les Carabiniers séduit par l'espièglerie dont fait preuve JLG au gré de la naïveté aberrante caractérisée par son personnage et anti-héros principal. Monceau de cultures souillées par de piètres fantassins incapables de se poser la moindre question cette polissonnerie godardienne est donc une formidable charge anti-militariste ; on retiendra entre autres choses la fameuse séquence des cartes postales, sommet de mise en scène parachevée par un étrange autodafé comique et désinvolte. Chef d'oeuvre, je vous l'annonce !