"Les Chambres Rouges" n'est pas vraiment un grand film. Il ne mérite sans doute objectivement pas mon 8/10. Mais il m'a apporté quelque chose que je n'avais pas vécu depuis longtemps face à un écran de cinéma : l'effroi pur.
Kelly-Anne et Clémentine, deux jeunes Québécoises qui ne se connaissent pas, se retrouvent tous les matins au Palais de Justice de Montréal pour assister au procès de Ludovic Chevalier, accusé d'enlèvement, séquestration, viol, torture et exécution sordide de 3 adolescentes, le tout diffusé en live sur le dark web, en échange de l'argent d'internautes déviants.
Entre réalisation clinique réaliste et amour de la série B invraisemblable, Pascal Plante réussit un petit tour de force : il ne choisit jamais vraiment. L'utilisation quasi hypnotique des plans séquences absorbe autant le spectateur dans la réalité froide de cet effroyable procès qu'elle lui fait vivre une expérience de cinéma presque fantastique.
Kelly-Anne (incroyable Juliette Gariépy), est une névrosée de son époque : surdouée, compétitrice, acharnée, vide de sens, en recherche permanente d'adrénaline, elle est aussi un personnage de fable, au comportement outrancier et souvent incohérent, sorte de Patrick Bateman des années 2020.
Cette navigation entre hyper-réalisme et grand guignol se retrouve même dans le titre du film : ces fameuses "Red Rooms", espaces supposés de stream live ultra-sordides, n'existent en réalité pas, pour de simples raisons de limites technologiques.
Pourtant, en jouant sur ce fantasme de la déviance humaine ultime, du voyeurisme extrême, Pascal Plante dépeint un personnage réaliste d'apathie, de fascination morbide, à l'image des spectateurs de notre véritable société, obsédés par le true crime et les histoires de tueurs en série.
L'ambiguïté de la relation entre les deux jeunes femmes, fascinées pour des raisons tout à fait différentes par le meurtrier pervers présumé est délicieuse. A la froide, trouble et calculatrice Kelly-Anne s'oppose la sentimentale et désorientée Clémentine qui voit en cet accusé une sorte de miroir à son propre malheur (Laurie Babin est également excellente).
Je parlais d'effroi au début de mon texte. Car le personnage malade de Kelly-Anne, l'impénétrabilité de ses motivations, la froideur calculée de chacun de ses gestes, sont bien plus terrifiants qu'un énième serial killer comme le cinéma nous en propose depuis des décennies. Rarement un film aura eu le courage de maintenir autant le spectateur dans le flou et dans l'ignorance. Rarement un personnage revêtant aussi violemment les apparences de la normalité nous aura paru aussi brisé, imprévisible.... evil.
Ces longues scènes muette où la jeune femme, filmée sous plusieurs angles, avec inserts sur les mains ou les yeux, gère la totalité de sa vie à travers 2 écrans, sont proprement glaçantes.
Le choc de l'horreur des images nous atteint également, par la dissimulation et la suggestion, les cris de jeunes filles découpées ou l'évanouissement d'un membre de l'audience du procès. A la manière de Glazer dans "La Zone d'Intérêt", Pascal Plante maîtrise parfaitement ses effets et impact durablement l'imagination du spectateur.
Le film pêche parfois par ses ressorts très "gadgets" (inhérents au personnage principal), l'intrigue avançant parfois à grands coups de hacking improbables, dans une ambiance à la Fincher. Le dernier acte et tout ce qui attrait au travestissement de Kelly-Anne (sans trop en dévoiler) sont certes efficaces, mais entachent un peu la minutie jusqu'ici employée pour nous angoisser et nous dégouter.
La superbe et terrifiante BO de Dominique Plante, enrobe le récit d'un voile "démoniaque", un peu grossier mais diablement efficace.
La résolution, si elle a le mérite de prolonger l'ambiguïté, manque cruellement de finesse et suppose pour le spectateur d'avaler des couleuvres assez énorme.
Chronique de la fascination morbide et de la "peoplisation" du crime, série B moderne, plongée dans des psychés brisées et en quête de sens, "Les Chambres rouges" est une effrayante rareté, bancale, poisseuse et extrêmement puissante.