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Un AVC par demi-heure mais je reste objectif

Mise à l'épreuve démarrant doucement sous les atours d'un film de procès (avec cette avocate soucieuse de maintenir le compteur à un cliché par phrase puis le Stan Smith d'American Dad québecois), Les chambres rouges génère intensité et anxiété grâce à son focus sur les détails reflétant l'attitude et les convictions des personnes, sur quoi il est transparent ; et les passages à l'acte, qui traduiront ou travailleront les précédents, à propos desquels il entretient le mystère. Dans le premier domaine, transparence ne rime pas avec simplicité : Clémentine se raconte des histoires, Kelly-Anne s'en raconte aucune ; les motivations de Clémentine sont unies, celles de Kelly-Anne sont multiples – au point que les spectateurs ne vivront pas le même film (selon le degré de certitude ou de perplexité, selon la part de projection ou d'expectative placide).

Car dans le second domaine, celui de l'action, le champ des possibles est large ; l'imagination s'emballe (sommes-nous à la fin d'Hostel 2 ? qui est dans ce fourgon ?), dans les limites du vraisemblable parfaitement délimité. Le film nous met en position de guetter chaque indice pour éclairer la responsabilité et la participation effective de Kelly-Anne dans cette affaire ; il nous abreuve de sa personne qui est une chose distincte et, si étrange ou statistiquement aberrante soit-elle (ou choquante soit sa réaction de miss victorieuse lorsqu'elle touche au Graal), cette personne est cohérente. Une victime consentante (à la couleur des cheveux près, ces filles massacrées, ç'aurait pu être elle il y a dix ans), une collaboratrice, une enquêtrice, une coupable en train de se punir (ce qu'elle semble être à l'ouverture en s'infligeant de dormir dans la rue enneigée), un automate charnel, une vicieuse à 140 de QI accablée par l'ennui ; peu importe ce que fixe un instant crucial, elle est tout cela en un – ou elle l'est virtuellement, car elle en a la trempe.

Comme elle son univers est verrouillé, pourtant elle s'expose à des criminels ; elle est « impénétrable », mais se donne le plaisir et confort d'être surveillée et cernée par une partenaire non/post-humaine – cette Guenièvre, assistante futile mais aussi compagnie, qui ne lui imposera pas de caprices et dévitalisera ceux qui lui parviennent (car à quoi bon cette lecture aseptisée des mails, sinon éviter les émotions, les moments insipides et efforts de la communication directe). Vous pouvez penser comme l'actrice qu'il s'agit 'finalement' d'une sorte de Batman ; ça n'enlèvera pas que c'est une femme pour qui la découverte en direct d'atrocités par une novice est un spectacle – les dites atrocités ayant perdu de leur force, quoique la fascination demeure. Même chose avec ce film qu'on peut découvrir avec des révélations tombées, car tout y est utile et précis, pas de piste ou de ressenti induit factices (d'ailleurs Kelly-Anne cueillie par les journalistes pour ses premiers mots ne dit que la vérité) ; mais ce serait se priver de l'ivresse qui rend intimement marquant ce qui sinon est simplement 'excellent' et pertinent. Quoique le malaise et l'effroi dûs à la candeur et la dévotion de Clémentine sera intact.

https://zogarok.wordpress.com/2024/08/23/les-chambres-rouges/

Zogarok

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