Premier long métrage du réalisateur Edouard Luntz, Les Cœurs Verts est film entre fiction et cinéma vérité qui nous plonge dans les grands espaces froids des banlieues parisiennes d'avant 1970 à la découverte des sauvageons de l'époque qu'on appelait les loubards. J'ai découvert totalement par hasard ce film et ce cinéaste et j'ai beaucoup aimé l'aspect documentaire, historique et sociologique de cette jeunesse de la France périphérique d'avant mai 68.
Les Cœurs verts c'est l'histoire de Jean Pierre et Zim deux petits voyous de banlieue qui sympathisent alors qu'ils sortent de prison pour des petits actes de délinquances. Après une courte flânerie dans Paris , les deux amis retrouvent leur quotidien entre ennui, violence, potes avec toutefois un désir nouveau d'arrêter les conneries et de s'en sortir.
Les Cœurs Verts est essentiellement interprété par des jeunes non professionnels qui sont de véritables loulous de Nanterre avec visiblement beaucoup d'improvisations et de séquences prises sur le vif durant le tournage. Un authenticité pittoresque qui donne parfois la sensation de se retrouver projeter dans une ambiance digne des premiers albums de Renaud avec le quotidien de ses petits loubards, des bals populaires, des conflits de générations, des petits bourgeois méprisants, des gonzesses et des beaufs qui protègent leur bagnole. Le portrait est assez saisissant et le film regorge de grands moments de cinéma vérité comme lorsque les deux potes fraîchement embauchés sont interrogés par des ouvriers qui cherchent à comprendre cette curieuse jeunesse un peu oisive et provocatrice. Le film comporte également une formidable scène de bal avec musique rock yèyè qui se terminera en bagarre générale après l'arrivée d'une bande rivale, tandis que les fils de bourgeois venus s'encanailler un peu se feront discrètement la malle pour éviter les coups. Mais avant de faire circuler le sang à grands coup de poings dans la tronche les loulous s'exerceront à la drague, au charleston et au slow sur une jolie version instrumentale de Je T'Aime Moi Non Plus de Gainsbourg qui signe d'ailleurs la bande originale du film. Edouard Luntz filme avec une radicalité de documentariste tout en offrant à son film une très belle image noir et blanc non dénuée d'une très belle qualité graphique et esthétique comme l'atteste quelques plans assez magnifiques. Le réalisateur s'offre aussi des séquences plus légères comme la formidable ballade des deux jeunes retrouvant leur liberté dans un Paris très sixties ou une séquence de baignade nocturne dans une piscine fermée.
Les deux personnages au cœur du récit sont franchement attachants dans leurs galères, leurs errances et leurs interrogations avec d'un côté le taciturne et mature Zim (Gérard Zimmermann) qui cherche vraiment à s'émanciper de son statut de loubard par le travail et de l'autre le plus fragile, sensible et influençable Jean-Pierre (Eric Penet) qui aura bien plus de mal à sortir du schéma potes et embrouilles. Et quand bien même cette banlieue n'a bien sûr plus grand chose à voir avec celle d'aujourd'hui on y retrouve déjà des préoccupations comme l'ennui d'une jeunesse désœuvré et sans travail se réinventant une famille auprès de bande de délinquants souvent violents dans leurs actes et leurs sentiments y compris auprès de jeune filles parfois traitées comme la propriété sexuelle du groupe tout entier. On retrouves également ce rapport tendu à l'ordre et la police dont on reproche des contrôles au faciès à cheveux longs, le sentiment d'insécurité face à une jeunesse paumée et des rapports conflictuelles à la famille, aux adultes et au travail. Cette jeunesse dans laquelle le film nous plonge est la fois touchante et inquiétante car sans autres repères que ceux qu'ils se construisent eux même en vase clos. Les Cœurs Verts s'appuie sur une dramaturgie assez simple mais vraiment efficace et le dernier acte qui termine le film sur un long plan sur le regard perdu de son héros est franchement émouvant.
Les Cœurs Verts est une chouette bonne surprise et tout le long du film au ton à la fois grave et léger j'avais vraiment la sensation de retrouver l'ambiance de titres de Renaud comme La Chanson du Loubard - C'est Mon Dernier Bal - Baston - La Bande à Lucien - Les Charognards et ça m'a fait du bien. Décidément ça ne date pas d'hier que la banlieue c'est pas rose ...