« chaque pas laissait une trace / que jamais l’on ne pourrait effacer »

Los Colonos dépasse, sur un thème similaire – comment la naissance d’une nation exige l’enterrement de la culture locale, comment l’homme blanc extermine l’Indien perçu comme sauvage –, le dernier film de Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon (2023), parce qu’il lui oppose la sécheresse d’une mise en scène et d’une tonalité dépourvue de romanesque, la concentration du récit par le biais d’ellipses et d’un chapitrage interne, la mise en faillite de son propre discours de réhabilitation. Sur ce dernier point, le long métrage de Felipe Gálvez frappe fort, refusant de simplifier les camps en présence et, surtout, de se ranger du côté de ceux qui, les premiers, ont recueilli la parole des opprimés, dans la mesure où ils exercèrent sur eux une même violence que les colons d’autrefois, une violence qui vainc, qui assujettit et qui venge les offenses (selon les mots de la poétesse Hélène Dorion dans son poème « Avant l’horizon », recueil Mes Forêts) : on les oblige à coopérer, on les déguise en bourgeois civilisés, on les filme en train de prendre le thé devant leur maison ; on les montre comme sont les spectateurs, on unifie par la suppression artificielle des différence et on pacifie par la force.

Los Colonos multiplie l’usage de la contrainte masculine, orchestrant également son ébranlement physique et moral : deux détachements en pleine errance se rencontrent et s’affrontent lors de jeux idiots, depuis le tir sur cible à la lutte en passant par le bras de fer ; l’homme là-dedans se définit par les histoires sordides qu’il raconte dans un mélange de langues, que le réalisateur refuse de mettre en images pour éviter d’en faire un spectacle complaisant, pour restituer leur immondice par leur statut de narration trophée dont on s’orne à la façon des oreilles prélevées sur les cadavres. Ce sont ces mêmes histoires que viennent récolter les politiciens, avant de les enfouir sous les belles idées de progrès et d’humanité. Un grand film porté par une photographie magnifique, une partition musicale immersive et des acteurs remarquables.

Fêtons_le_cinéma
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le 19 janv. 2024

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