La première scène du film est emballante et prometteuse : deux jeunes hommes en face d'un employé des pompes funèbres contestent la qualité des bois des cercueils qui leur sont proposés. Réaction déplacée mais rapidement explicitée quand on voit Arnaud et Manu, deux frères qui viennent de perdre leur père, quitter l'établissement au volant d'une camionnette leur servant à exercer leur métier de menuisiers. On aimerait que cet esprit gentiment décalé à la limite de l'incongruité perdure, d'autant plus que les éléments fondamentaux existent dans la confrontation de deux personnages opposés : d’un côté Arnaud, jeune homme un peu flottant et indécis, de l’autre Madeleine, jeune fille physique et tranchante qui ambitionne d’intégrer un régiment de prestige suite à une préparation militaire pour se tenir prête à affronter la fin du monde qu’elle sent proche et irréversible dans un nihilisme aussi profond qu’inexpliqué. Les projets d’un été tranquille sur la plage landaise avec ses potes, des sympathiques branleurs, tournent court pour Arnaud lorsqu’il rencontre Madeleine.
Passé par des études de science politique, Thomas Cailley réalise un premier film remarqué au dernier festival de Cannes. Reconnaissons-lui l’originalité d’un sujet qui lui permet de traverser des genres aussi disparates que le film-catastrophe, la romance ou l’odyssée élégiaque. Aussi bizarre apparaisse la lubie de Madeleine, plongeant dans la piscine familiale harnachée d’un sac à dos rempli de tuiles ou avalant des breuvages terrifiants à base de poissons morts passés au mixer, elle témoigne cependant d’une prise de conscience d’un avenir bouché associé aux menaces écologiques dont la surdiplômée Madeleine a fortement conscience. Davantage sensible aux attraits de la jeune fille qu’à ses convictions, Arnaud va néanmoins l’accompagner dans cette formation militaire.
C’est dans un esprit qui rappelle les comédies déjantées des Charlots, voire les pitreries des troufions de la 7ème compagnie, la série de Robert Lamoureux, que se déroule l’entrainement des jeunes recrues. Hélas, cette atmosphère doucement nostalgique et tendrement moqueuse sans jamais aller jusqu’à l’irrespect sent surtout le réchauffé et ne prête guère à rire, si ce n’est à montrer un corps aux usages séculaires et inchangés, où être une femme est toujours extrêmement compliqué. Mais Madeleine y croit dur comme fer, veut conquérir ses galons sans l’aide de personne, et surtout pas celle du serviable, voire servile, Arnaud qui commence à en avoir ras le casque.
Sur la notion du combattant, les points de vue divergent entre la déterminée Madeleine pour laquelle décision et action ne peuvent être dissociées et l’observateur Arnaud, moins porté sur l’action permanente et stérile. Le combat, de gré ou de force, peut aussi se mener dans l’expérience du vide (autour de soi) et d’une certaine forme d’introspection, jamais aussi bien menée que dans le dénuement, le retour aux sources. La forêt, la rivière comme cadres idylliques du dépouillement et des retrouvailles avec les vraies valeurs sont devenues en même temps les décors convenus de ce type de cinéma. Citons pour mémoire les dérives existentielles et élégiaques de la japonaise Naomi Kawase (La Forêt de Mogari), du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul (Tropical Malady) ou encore les refuges protecteurs des héros de Old Joy, Au voleur, Arrête ou Je Continue. La forêt comme espace mondialiste d’une méditation assumée, sinon fructueuse. SI on peut émettre des réserves sur l’efficacité du geste naïf, aux conséquences parfois mal mesurées, conduisant dès lors Les Combattants sur un terrain où on ne l’attendait pas forcément, un terrain où il finira par donner le meilleur, on se doit objectivement d’avouer qu’il donne naissance aux plus belles scènes de l’ensemble, baignées d’une lumière originelle, presque sacrée, en tout cas purificatrice et apaisante. Peut-être aussi parce qu’Adèle Haenel, actrice montante, débordante d’énergie et de vitalité, abandonne ses moues de bébé boudeur et joufflu pour afficher un sourire lumineux et un regard aussi espiègle que profond. Celui-là même qui lui sera nécessaire pour rester à l’affût.