Que diable allaient-ils faire dans cette galère ?

Le film est, visuellement, beau et bien photographié. La musique est bonne. Et les acteurs également. Depardieu est excellent comme souvent, Ulliel très bon (et même meilleur que jamais), Gouix très bon aussi, et la débutante Lang Khê Tran : pas si mal. Tous les comédiens se donnent et prennent des risques.
Par contre, le fond du film m'a mis un peu mal à l'aise. Forcément. Certains clichés. Du voyeurisme aussi. Un certain sensationnalisme au niveau de l'image et des dialogues. En fait, on ne sait trop où va le scénario et ce qu'il cherche à dire. Probable que Guillaume Nicloux souhaitait rester dans le flou artistique.
On nous dit d'emblée (par un incrusté dans l'écran initial) qu'en 1945 (au moment où la Deuxième Guerre Mondiale est gagnée par les "Forces Alliées" contre celles de l'Axe et du Japon), les Vietnamiens ne veulent pas, ne veulent plus de la colonisation française. Et le film nous décrit les prémices (année 1945, début 1946) de la Guerre d'Indochine qui ira en s'intensifiant jusqu'à la défaite, neuf ans plus tard, de Diên Biên Phu.
Les Confins du monde se concentre sur quelques mois (1945 et début 1946) et évoque l'extrême précarité du quotidien de l'armée et des forces coloniales françaises à cette époque, dans le nord du Vietnam, nous rappelle à quel point elles étaient exposées. Pour autant, fallait-il nous balancer à la tronche tous ces corps de suppliciés, comme une suite du Silence de Scorsese (et bien après la sortie d'inoubliables chefs d'oeuvre américains sur la guerre du Vietnam) ? Ou, par ex., ce collier d'oreilles et de langues humaines ?
J'imagine que le réalisateur et son co-scénariste ont voulu que le film soit un questionnement du colonialisme et une mise en évidence de la sauvagerie, de l'absurdité, de l'inutilité de ces guerre coloniales à soutenir si loin de la métropole (aux "confins du monde") et donc perdues d'avance, surtout compte tenu des forces en présence. Comment, en effet, 45 millions de petits blancs judéo-chrétiens (la France métropolitaine d'alors) pouvaient-ils espérer soutenir victorieusement une "guerre coloniale" (que le Việt Minh entreprenait, lui, comme une "guerre de libération") contre des centaines de millions d'Asiatiques d'Extrême-Orient (avec une philosophie de l'existence tellement différente et, pour beaucoup, une idéologie opposée : le communisme) qui les voyaient naturellement comme des intrus, des donneurs de leçons pleins d'arrière-pensées et des exploiteurs ?
Que d'efforts, de souffrances, de sang, de vies, d'argent perdus ! Pour... quoi ? Une construction bâtie sur du sable.
Ok, soixante-dix ans plus tard, c'est facile à dire. Mais sur le moment ?
Qu'étaient venus faire "dans cette galère", ce bourbier, tous ces pauvres diables (Tassen, Cavagna, Maussier, etc., même Saintonge) tiraillés entre la fureur et le désespoir ? Eh bien, ils étaient venus assurer la grandeur de leur patrie, la grandeur de la France, défendre ce qui était alors considéré comme la perle de son empire colonial.


Le film se situe pour moi à mi-chemin entre Apocalypse Now (d'ailleurs, physiquement Depardieu ne rappelle-t-il pas un peu le Brando de cette époque ?) et Aguirre, la colère de Dieu (mais là, c'est sans doute une réminiscence purement personnelle). Il évoque un fanatisme des deux côtés ("la patrie n°1" contre "la patrie n°2", dirait L.F.Céline), parle de revanche à prendre, montre des morts aussi bêtes qu'atroces et des survivants qui se demandent pourquoi ils ont survécu et ce qu'ils font encore là (ce que l'écrivain joué par Depardieu appelle le "complexe du survivant").
Bref, Les Confins du monde nous rappelle, de façon désagréablement inopportune, combien il était facile (et commun) de rencontrer la mort en Indochine dans ces années-là, et difficile, presque impossible, d'y rencontrer l'amour.

Fleming
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le 5 déc. 2018

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