Difficile à classer, entre le drame et la critique de la mafia italienne, entre une romance de regards et un destin tragique partagé et amoureux, les conséquences de l’amour semblent toutes converger vers la mort. Cette mort apparaît ici de façon duale, comme le bout d’une destinée rectiligne mais aussi comme une sortie de route. Une dualité forte qui caractérise enfin Titta dans sa vie et dans sa relation amoureuse, et qu’on retrouve dans les nombreux miroirs et reflets qui parsèment ce film et donnent au spectateur l’ampleur de la complexité des choix humains.
Ce film fortement esthétique a donc la force de tenir son discours dans un silence assourdissant, rythmé par le mutisme de son protagoniste que rompt une voix off froide accompagnée d’une musique tantôt électrique et métallique, tantôt orchestrale et oscillante. Quelles sont les conséquences de l’amour ? En quoi est-il engageant ? A partir de quand ? Jusqu’où ? A travers la plus pâle vie d’un cinquantenaire blasé et impassible, le spectateur voit la banalité d’une existence pénétrer la singularité de Titta par l’impulsion de son désir amoureux. C’est bien là le message d’un film montrant avec ironie et rythme le chamboulement insoupçonné que provoque un simple regard, de part et d’autre d’un bar, dans l’anonymat le plus total. Un anonymat qui soudera deux destins qui traduisent la dualité de l’être, partagé entre son extérieur et son monde intérieur ici dicté par la voix off et les jeux de regard. Une chose reste toutefois invariable : la menace, la sanction des prises de risques qu’induit l’amour, incarnée par la mafia, qui succède systématiquement aux initiatives amoureuses du personnage, jusqu’à l’engloutir, au sens propre.
On retrouve cette dichotomie dans la stylistique de Sorrentino qui jongle entre la douceur et la régularité de plans circulaires contemplatifs et contrôlés, et des plans fixes tantôt aux alignements parfaits, comme le tableau du premier plan, tantôt où la diagonale est préférée à l’horizontale. Une fois il est moderne et presque primitiviste dans sa façon de jouer avec la fragilité de l’immersion du spectateur dans la fiction, en ne rechignant pas sur les ruptures de la bande musicale par des bruits incisifs et métalliques (la sortie du tapis roulant ou encore l’homme qui rentre tête la première dans le poteau), créant chez le spectateur une rupture de style avec le climat contemplatif voire ennuyant que dégage Titta. L’autre fois il frôle le post-modernisme dans des scènes fluides où il met ses talents techniques au service de mouvements de caméra acrobatiques notamment ce double mouvement de la caméra et du personnage qui s’additionnent dans un travelling bas-haut à 180° tout en verticalité et circularité, donnant l’impression de retournement provoqué par la prise d’héroïne par Titta, et offrant au spectateur un sentiment de troisième dimension qu’apprivoise le personnage dans sa vie intérieure. Enfin on retrouve souvent un style hérité de l’impressionnisme dans des reaction-shots ou les plans de travelling suivi qui nous font accompagner Titta dans ses déplacements, sans omettre d’y insérer un brin d’incertitude et de méconnaissance du personnage en le laissant soudainement s’éloigner ou en l’observant vu de haut en plan fixe en vision de caméra de sécurité pratiquement postcool, surtout au début du film.
Dans ce film, Sorrentino ne s’interdit aucun moyen de transmettre au spectateur des informations sur ce personnage tant complexe que pluriel, ce qui l’a ainsi mené à développer son style polymorphe qui reste, jusqu’à la dernière scène, au service d’une esthétique reine.