Moonfleet passionne parce qu’il permet à Fritz Lang de s’approprier le film d’aventure sur fond de piraterie : il aborde et ainsi convertit ses grands motifs, ses grandes obsessions, en un matériau romanesque foisonnant qui jamais ne faiblit durant son heure et demie. Il suffit, pour s’en convaincre, de visionner l’ouverture avec son personnage principal, orphelin, contraint de vagabonder seul dans les landes anglaises en bord de mer, et sa rencontre avec une statue gothique qui le foudroie et le terrifie. M – Eine Stadt sucht einen Mörder (1931) n’est pas loin, association renforcée par le chant de l’enfant qui évoque le sifflement du prédateur. Aussi le long métrage file-t-il la métaphore de la filiation sur fond d’amitié, l’aventurier devenant une figure paternelle de substitution ainsi qu’un ami dont la disparition, à terme, confronte le petit John à la fin d’un rêve et d’une période.
Car l’enfance constitue la thématique principale : il y est principalement question d’une chasse au trésor, puisque le diamant de Barberousse fascine tous les protagonistes du récit ; une enfance redistribuée à mesure que John fait preuve de bravoure et Jeremy d’une candeur nécessaire au jeu de pistes – nous avons, de surcroît, la fameuse carte au trésor qu’il faut décoder ! L’esprit des Goonies (avant l’heure) souffle, porté par une esthétique articulant le baroque et la gothique pour un résultat envoûtant : le cimetière et ses orages glacent le sang, l’architecture des bâtisses et du château nous raccorde à une Angleterre historique dont le film explore le substrat de fiction(s). N’oublions pas non plus l’exotisme de cette bohémienne, avatar de la femme fatale à la Carmen de Mérimée.
Moonfleet s’impose donc telle une œuvre de grande qualité, mise en scène avec génie et animée par un romanesque délectable.