Les Dents du singe constitue, en quelque sorte, le manifeste du film d’animation pour adultes français, l’œuvre ayant propulsé son réalisateur sur le devant de la scène jusqu’à, treize années plus tard, réaliser La Planète sauvage. Le contexte dans lequel l’œuvre a vu le jour est indissociable de sa réception actuelle : nous sommes dans un cadre psychiatrique, et l’art permet aux pensionnaires d’exprimer leurs peurs, leurs sentiments, leurs espoirs, art d’abord pictural que René Laloux transforme en court-métrage, pour un résultat très déstabilisant, non loin des productions surréalistes des décennies précédentes. Le grand intérêt du film réside aussitôt dans la confrontation d’une imagerie morbide, celle qu’engendre un arracheur de dents, avec une approche esthétique des plus primaires, qui n’a que faire des sophistications utilisées pour lisser l’image, affiner le trait. Ici les figures sont à l’état brut, dans une transposition parfaite d’une sensibilité à un support. Reconnaissons néanmoins que ce grand intérêt, d’ordre artistique, se délite à mesure que notre grille de lecture s’attarde sur les aspects strictement cinématographiques, ici en retrait. Il convient donc d’aborder Les Dents du singe comme un manifeste davantage que comme une œuvre aboutie : esquisse d’une poétique de l’image qui se concrétisera par la suite.