Berlin, 1933. Apprenant dans deux écoles situées l’une à côté de l’autre, l’une américaine, l’autre allemande, Karl (Tim Holt) et Anna (Bonita Granville) s’aiment, alors même que tout les sépare. De fait, Anna, quoiqu’Allemande d’origine, est américaine, et voit d’un mauvais œil la montée en puissance du nazisme, tandis qu’engagé dans les Jeunesses Hitlériennes, Karl y est favorable. Quelques années plus tard, devenue enseignante dans l’école américaine, Anna est réquisitionnée par le régime nazi pour travailler à son service. Son ami et collègue, le professeur Nichols (Kent Smith), part à sa recherche, et découvre que l’officier nazi responsable du sort d’Anna n’est autre que Karl. En essayant de tout faire pour la libérer, Nichols va se retrouver face à un pays opprimé qui ne sait comment réagir face à une vague qui l’a bouleversé de fond en comble et qu’il n’a pas anticipé…
On pourrait se lasser de voir encore un film de propagande antinazie, et craindre que ce dernier ne se montre encore une fois dénuée de toute originalité comme de toute finesse, trop prisonnier de son époque de réalisation. Pourtant, c’est Edward Dmytryk à la barre, et même si, alors en début de carrière, le réalisateur n’a pas encore connu la sinistre période des Dix d’Hollywood, il fait déjà preuve d’une belle profondeur dans son récit.
S’appuyant sur un couple Karl/Anna un peu trop démonstratif, qui ne s’épargne pas tous les clichés du genre, Les Enfants d’Hitler dépasse toutefois le simple clivage nazi = méchant/antinazi = gentil pour nous dépeindre le peuple allemand dans sa globalité, et dans sa vérité. Si les scènes où l’on constate l’endoctrinement des Allemands par le régime sont déjà glaçantes, les pires moments du film sont sans doute ceux où Dmytryk nous fait rencontrer des Allemands lucides et contre le régime, mais qui sont contraints à l’inaction par peur et peut-être aussi par lâcheté. Il serait pourtant bien hypocrite de condamner la lâcheté des Allemands qui regardaient la vague balayer tout sur son passage sans réagir, tant le film réussit dans sa volonté de nous pousser à nous demander ce que l’on aurait fait à leur place.
Ainsi, le personnage de Franz engendre un fort questionnement chez le spectateur : clairement antinazi, l’homme préfère se taire et espérer voir les choses s’arranger plutôt que de se révolter, la tranquillité précaire de sa famille se faisant au prix de son silence. Jugé par ses propres enfants, eux-mêmes aveuglés par l’idéologie nazie, Franz est constamment tiraillé entre son désir de se faire oublier et son indignation face aux crimes du régime, voyant bien qu’une révolte individuelle ne serait que pur suicide. Dès lors, comment agir ?
Cette manière d’impliquer le spectateur aux côtés des personnages est indéniablement la plus grande force du film, surtout lorsqu’il s’agit de nous faire plonger dans le dilemme de Karl, endoctriné par le régime dont il s’est fait le porte-parole, mais dont l’amour pour Anna lui fait toucher du doigt l’injustice qu’il propage malgré lui. Condamnant le nazisme, mais pas tous les nazis, certains d’entre eux se révélant plus victimes que bourreaux, Les Enfants d’Hitler atteint constamment sa cible, mettant à nu les terribles rouages d’une dictature, et l’écrasement de l’homme qui y est mis en œuvre (le titre du film fait lui-même référence aux enfants conçus par des femmes au service de l’Etat, enfants privés de leurs parents pour œuvrer corps et âme envers leur seul père, Hitler, leur père biologique étant inconnu).
Mais les scènes les plus intéressantes sont sans nul doute celles qui confrontent le nazisme au christianisme, au travers de l’opposition, merveilleusement dessinée, entre un évêque et un haut gradé nazi. En effet, l’évêque fait partie des rares opposants ouvertement déclarés au régime et encore en liberté, car comme l’officier le lui fait remarquer, le mettre à mort serait en faire un martyr et finalement, renforcer la foi et l’opposition des chrétiens, tandis que le laisser prêcher et manipuler l’opinion contre lui en faveur d’Hitler fera automatiquement mourir à petit feu la religion au profit d’une croyance bien plus fanatique, le nazisme.
Ainsi, parfaitement soulignée par l’évêque, la différence entre le nazisme et le christianisme est fondamentale : là où l’évangile du Christ prêche la paix depuis plusieurs siècles et est universel, l’évangile d’Hitler prône la haine et la supériorité raciale. Dès lors, l’un est éternel et traverse tous les âges tandis que l’autre, voué à l’échec, ne dure pas.
Dommage qu’après cette leçon toute en intelligence et en subtilité, le film de Dmytryk retombe dans un romantisme non dénué de grandeur tragique (on ne peut pas ne pas penser à Roméo et Juliette), mais qui rabaisse légèrement le niveau d’un film pourtant très profond. Une belle œuvre, dont le message final, quoiqu’un peu idéaliste, réussit à communiquer un fort enthousiasme, tout en renforçant un espoir certes léger mais bien réel dans la capacité de l’homme à s’améliorer. Et si la suite des événements n’a pas encore donné raison à Dmytryk, on peut être sûr que ce dernier, à son échelle, contribua grandement à mettre en pratique cet espoir que l’on n’espère pas vain…
J’ai fait un rêve, la nuit dernière. Sur Napoléon et Beethoven. C’était un rêve agréable. Napoléon écrivait des discours sur la guerre et le combat. Pendant ce temps, Beethoven composait. Puis le rêve changea, ils étaient morts. Des années avaient passé et tu sais quoi ? Le monde entier écoutait Beethoven, mais personne ne lisait les discours de Napoléon. Comment expliques-tu cela ? Certaines choses vivraient-elles plus longtemps que les dictateurs ?