Wild Boys of the Road est un film merveilleux. Dans l'Amérique des années 30 frappée par la Grande Dépression, de plus en plus de familles sont poussées dans la rue, contraintes à mendier, à se séparer et à s'exiler pour espérer survivre. Eddie Smith et Tommy Gordon, deux adolescents de la côte Ouest des États-Unis se rendent à une soirée étudiante accompagnés de leur chéries respectives. Tout va pour le mieux ce soir-là mais déjà les sombres nuages de la crise commencent à s’amonceler à l'Est. Tommy est orphelin de père et sa mère, veuve toute récente, est forcée de travailler afin de subvenir aux besoins de sa famille. Mais le chômage sévit déjà et la malheureuse peine à nourrir la bouche de son fils et la sienne. Rapidement, même la famille plus aisée de Eddie est fauchée par la crise et obligée de vendre ses biens et rationner ses vivres. L'Amérique se sert la ceinture, boit ses larmes et son sang et mange les raisins de la colère. Très vite, une seule solution viable s'impose aux deux amis de toujours : quitter et l'école et trouver un travail. Mais leur enthousiasme n'est qu'une maigre consolation. Toute une génération d'américain est jetée dans la nature, déscolarisée, sans avenir et sacrifiée pour le laxisme de certain. Leur périple leur fera rencontrer d'autres enfants de leur âge, d'autres âmes séparées des leurs dont Sally, une jeune fille solitaire dont le rire illumine le visage et retrousse admirablement le nez. Direction l'Est et New-York. Noirs comme blancs, filles comme garçons, riches comme pauvres, vieillards comme enfants, tous se ruent dans les grandes villes à la recherche de la moindre opportunité de travail. Mais plus que les campagnes, les anciennes riches cités des États-Unis sont ravagées par la crise, en proie au chômage et à la misère. Il faut toujours pousser plus loin. Une routine dramatique s'installe dans leur traversée et le désespoir dans le cœur. Au cours de leur exode oriental, nos héros connaitrons les descentes policières, les voyages clandestins, la bêtise humaine (le viol), le malheur (l'amputation de la jambe droite que Tommy, passé à moitié sous un train) mais également la solidarité, la gentillesse et la générosité dont savent faire preuve les hommes dans l'adversité. La fin est bouleversante.
Le film m'a ému aux larmes un paquet de fois. Wellman signe un conte initiatique fort, un drame social bouleversant et une ode à l'enfance empreinte d'un optimisme et d'une bonne humeur d'une rare communicativité (eh oui le mot existe). Le thème, qui prêtait pourtant au mélodrame larmoyant, est savamment traité et ne verse à aucun moment dans le pathos ou la surenchère. Wellman choisit l'angle parfait et évite ainsi l’écueil de la facilité d'une pirouette magnifique aussi bien réalisée que celle dont nous gratifie son personnage principal (Eddie) à la fin du film. Sa réussite d'ailleurs il la doit autant au talent de son réalisateur qu'à celui de ses comédiens qui se donnent corps et âme dans leur rôle. Frankie Darro, qui interprète Eddie, le chef de la petite troupe puis le figure de proue de l'exode juvénile, est impressionnant. Malgré son jeune age (16 ans au moment du film), celui qui avait déjà une très longue carrière dans le muet fait montre d'une palette d'émotion presque indécente. Il y a dans sa façon de bouger, sa diction et son regard la même flamme qui habitait Jimmy Cagney et fit de lui l'un des plus grands acteurs du monde. A la fin du film, Wellman, qui était sans doute au courant de ce fait, joue malicieusement sur cette ressemblance en faisant faire à son poulain une irruption fracassante dans la salle d'un cinéma jouant The Crowd Roars de Hawks avec Cagney justement (et Joan Blondell également). Le reste de la distribution n'est pas en reste : des quelques adultes rencontrés aux autres enfants, la partition est impeccable. La mise en scène est au niveau : lapidation des forces de polices à coups d’œufs et de choux-fleurs, bagarre à coup de pierre et de bâton, course poursuite dans un cinéma... Elle est pleine de peps et vitalité. A noter la présence au casting de inénarrable Ward Bond, dans un rôle aux antipodes de celui qu'il interprétait dans Heroes for Sale du même Wellman, sortie quelques semaines plus tôt, où il jouait le chef coco des vagabonds recalés par les brigades rouges (vous apprécierez la cocasserie de la situation). Dans Wild Boys on the Road, il est la pire des enflures et prend une déculotté mémorable.
En somme, Wild Boys on the Road est sans doute l'un des chef d’œuvre de son réalisateur et l'une des pépites du cinéma américain de l'ère pré-Code. Parcouru par un souffle d'optimisme et de bons sentiments, et directement affilié à des auteurs comme Steinbeck, Twain ou Sherwood Anderson, il prend à contre-courant les codes larmoyants du genre et se pare d'un charme irrésistible. Assurément un grand film méconnu.
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