René Osman, Berthe Rolider et Odette Diamant habitaient le 209 rue Saint-Maur à Paris en 1944. Ils avaient 6 ans lorsque des rafles ont embarqué leurs proches. Destination le camp d'internement de Pithiviers, dernière étape avant la déportation. Eux, ces enfants-là, survécurent. Ils eurent la vie sauve grâce à un voisin qui alerta à temps leurs parents ; parents qui eux-mêmes, dans un réflexe désespéré, confièrent leurs enfants à qui ils purent. René fut ainsi recueilli par une organisation clandestine chargé d'exfiltrer les orphelins. Cinq familles d'adoption différentes se succédèrent l'emmenant jusqu'aux États-Unis où il vit aujourd'hui. Ignorant tout de ses véritables parents...jusqu'à ce qu'il rencontre Ruth.
Le film de Ruth Zylberman fait surgir de l'ombre ces fantômes de l'histoire. Il y a quelques années, la réalisatrice a choisi au hasard un immeuble parisien, ce fut celui-ci, parmi d'autres qui auraient tout aussi bien fait l'affaire : trois façades entourant une petite cour : le 209 rue Saint-Maur. Elle s'est ensuite attelée, des mois durant, à reconstituer le puzzle des locataires des lieux au début de l'Occupation. En s'aidant des témoignages des survivants vivant encore en France et d'un registre d'école où sont consignés des noms d'enfants. Elle découvre alors qu'un tiers des habitants, du fait de leur nom, de leur confession ou de leurs origines avaient été déportés. Patiemment, obstinément, elle va reconstituer les destins effacés, redessiner les visages oubliés. A la manière de Georges Perec, autre enfant de parent déporté (sa mère), qui avait littérairement déconstruit/reconstruit un immeuble et ses occupants dans La Vie Mode d'Emploi, Ruth Zylberman va s'employer a retrouver les noms de tous les occupants du 209 rue Saint-Maur : les Szulc, les Jamais, les Baum. Les Goldszstajn, les Arnaud-Ghitis et les Buraczyk. Tous disparus. Henry Osman qui survécut ou Abraham Gogolinsky dont il ne reste qu'une photo. Ou encore Henry, un vieux monsieur de 80 ans qui en parait 4 quand il évoque avec ses deux frères ainés ce trou noir dans sa mémoire. Maquette et croquis à l'appui, sans pathos mais avec des questions précises, la réalisatrice reconstitue la vie de l'immeuble : les jeux des enfants, les métiers des adultes, les petites anecdotes...
Et puis il y a cette scène bouleversante : René, l'"Américain", que Ruth Zylberman va débusquer dans sa retraite outre atlantique et qui dans un premier temps ne veut rien, absolument rien savoir de son histoire (dont il ignore tout) et qui, voyant sa propre fille s'intéresser aux documents apportés par la réalisatrice, s'en approche tout doucement, "comme un chat prudent mais curieux" dira-t-il.... Ne serait-ce que pour ces moments d'une incroyable justesse et jamais larmoyants, ce film, Les enfants du 209 rue Saint-Maur mérite d'être vu et montré.
9/10
<3
(actuellement diffusé sur Arte)