Pour qui a vu « Misère au Borinage », un documentaire de 1934 co-signé par Joris Ivens et Henri Storck, se doit de regarder « Les enfants du borinage ». Nous sommes en 1998, Patric Jean, s’adresse à l’un des deux réalisateurs (Storck) sous forme d’une lettre filmique, son constat est amer, la situation n’a guère évolué.


Historiquement parlant, le Borinage est un ensemble de localités dites « populaires » en périphérie de la ville de Mons qui se sont développées au XIXème siècle notamment avec le charbonnage. La fermeture des mines, puis des grandes usines locales dans les années 60 ont accentué la pauvreté et l’extrême misère dans certains quartiers.


Patric Jean, natif de la région y revient donc. Le commentaire, où on le sent totalement excédé, est illustré de ses images, qu’il croise avec celles de 1934. Sa caméra se veut objective, comme s’il découvrait la situation, qu’il ne connait que trop hélas. Le constat, qui occupe la première partie du film, est ahurissant. C’est une vision horrifique qui éclabousse l’écran. Visite de taudis, où « il est parfois difficile de différencier celles (les maisons) qui sont vides de celles qui sont encore occupées ». La population semble se claquemurer. Seuls quelques témoignages sont captés, notamment celui d’Emile, un « ainé » aux paroles pleines de bons sens, mais que l’on n’entend pas ailleurs.


Nous pénétrons dans l’antre de la « misère honteuse » qui dépasse l'imaginable, celle qui est cachée (pouvoirs publics), mais aussi celle qui se cache (communautarisme à l’excès). Et c’est là l’un des propos forts de Patric Jean qui souligne que cette misère passe de génération en génération, se dégrade un peu plus a chaque fois, tout comme les conditions de vie. Que par que ces personnes se sentent rejetées, elles se rejettent elles-mêmes et se démarquent de cette société qui les « euthanasie » socialement, humainement. Le tout est corroboré par les propos d’élus (socialistes tout de même !), ou des responsables de services sociaux de la ville qui trouvent que ces « Borins » (étymologiquement « qui vient des mines ») ont un caractère particulier. L’un affiche une morgue incroyable en disant que lors de ses visites dans les Favelas, ou quartiers pauvres du Caire, la population avait le sourire et que ses propres habitants eux « font la gueule », cela tient du scandale ! Certes, Patric Jean affiche un certain parti pris, mais savoir qu’un seul élu puisse tenir ce genre de propos relève de l’incompétence notoire !


Ce documentaire est le cri de désespoir d’un homme ulcéré. Il peut être perçu comme totalement subjectif. Il est vrai que certaines pistes aurait dû être lancées, qui loue à cette famille monoparentale (la maman et ses 4 enfants) un logement qui n’en est plus un ? Les pouvoirs publics si résignés dans leur bonne conscience sarcastique de « crise économique », « pouvoir de l’argent » envisagent-ils de changer les choses ? Cela manquait cruellement à l’argumentaire…


Je me suis intéressé à la situation actuelle de cette partie de territoire du Grand Mons. Comme pour beaucoup de quartiers « pauvres » de Belgique ou de France, un grand chantier de rénovation urbaine a été lancé, avec des réalisations probantes. Ces quartiers restant toutefois comme les plus pauvres de Wallonie. Il serait intéressant à ce jour, presque 20 ans après, de retourner sur les lieux (qui visiblement ont bien changé), mais surtout de savoir où « cette partie » de la population communale (la génération suivante) se trouve.


En plus de l’intérêt anthropologique et sociétal évident, une suite logique à « Misère au Borinage » et à cette « Lettre au Borinage » semble indispensable. Sinon, le cri sincère et bouleversant de Patric Jean, viendra se perdre pour que ne résonne une fois encore « le bruit immense du silence des pauvres ».


"Misère au Borinage" de Joris Ivens et Henri Storck -1934-
https://www.youtube.com/watch?v=x4-ZAMZscyE


"Les enfants du Borinage, lettre à Henri Storck" de Patric Jean -1999-
https://www.youtube.com/watch?v=NGmfjVi-B40

Fritz_Langueur
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le 22 sept. 2015

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