Transposée dans un autre contexte, un autre pays, il y a fort à parier que l'histoire de Les Enfants du ciel deviendrait sirupeuse et vaine. Mais c'est précisément son contexte, un quartier pauvre d'une ville iranienne, qui lui donne tout son intérêt : en suivant les péripéties d'un frère et de sa sœur suite à la disparition d'une simple paire de chaussures, événement qui les contraint à devoir partager une unique paire restante, on accède à une part d'intimité particulièrement attendrissante. Les performances des jeunes acteurs amateurs sont géniales, si ce n'est la propension du petit garçon à verser une larme : disons que son regard de cocker battu se suffit largement à lui seul tant il exprime une tristesse abyssale quand il veut. On sait pourquoi ce gamin a été retenu au casting, sans l'ombre d'un doute.
Beaucoup d'angoisse traverse le film, jalonné par les mésaventures des deux enfants, entre la maison et l'école, sans jamais oublier de parsemer un peu de d'ironie régulièrement. Une bonne partie du film traite de la vie ordinaire en Iran, sans se tourner clairement vers le documentaire, et il s'en dégage une impression de réalité plutôt agréable, en tous cas qui s'accommode très bien de la fiction enfantine. On est en plein dans l'innocence de l'enfance, avec la gravité des enjeux à la hauteur du monde d'un enfant de 9 ou 10 ans — c'est-à-dire quelque chose de beaucoup moins sérieux qu'un autre film iranien sorti la même année, le très beau Un instant d'innocence de Mohsen Makhmalbaf.
C'est un peu le pendant iranien d'un Ozu ou d'un Shimizu, donc : le suspense développé ici s'organise autour des contraintes des enfants, avec ce relais quotidien pour partager une même paire de chaussures entre frère et sœur qui se transforme en une course effrénée — un entraînement qui se montrera bien utile sur la fin. L'occasion de parcourir les ruelles des quartiers populaires de Téhéran, un peu comme chez Kiarostami, avec ici une hypertrophie notable des sensations, de joie et de peur. L'histoire est globalement expurgée de tout misérabilisme mais actionne parfois pas mal le levier du pathos (ces yeux et ces larmes, faut dire...) et de l'attente (les ralentis un peu abusifs dans la course finale). Mais il en résulte une simplicité et une candeur empreintes de douceur.
http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Enfants-du-ciel-de-Majid-Majidi-1997