L’un des plus grands mérites que l’on peut trouver à l’animation, c’est lorsqu’elle déploie des moyens propres d’expression au service de son propos. Il fut un temps où elle avait le mérite de l’illimité de l’imaginaire : la magie, c’était (c’est encore, diront certains) le dragon, les fées ou l’illustration musicale échevelée de Disney. Aujourd’hui, tout est animation : même un film sans effet spéciaux visible est en souvent tourné sur écran vert, et le décor incrusté numériquement. (voir à ce titre la vidéo d’illustration pour le dernier Scorsese : http://vimeo.com/83523133 ) ; aux films dessinés de redéfinir leur esthétique.
Les enfants loups parvient à relever brillamment le défi. Le premier charme réside dans la beauté de son image, dont la délicatesse et les transparences, le scintillement irise de nombreux plans : la neige, la pluie, les étoiles, les fleurs composent un décor d’une rare délicatesse. En écho à ces silences contemplatifs, le film instaure un rythme assez lent dont l’objectif est double : nous immerger dans le quotidien de cette famille et nous familiariser avec la croissance des enfants, et de ce fait nous accoutumer à leur profonde singularité. L’extraordinaire de leur condition ne suscitera jamais un récit hors norme, mais au contraire l’épanouissement d’une intimité singulière. Le récit est celui d’une mère seule, et de son rapport avec les enfants que lui laisse l’homme de sa vie. Lorsqu’il dépassera le cadre de la maison isolée, ce sera pour renforcer les liens et les caractères de la cellule familiale.
Film sur la différence davantage que sur la tolérance, Les enfants loups déjoue un grand nombre de pièges en proposant une focalisation originale : c’est avant tout le regard que les enfants portent sur eux-mêmes qui constitue la dynamique dramatique ; de plus, il ne s’embarrasse pas d’un discours didactique et passe le plus souvent par des scènes de sommaire ou de silences pour dire l’essentiel. Deux séquences retiennent particulièrement l’attention : celle de la course dans la neige des enfants devenus loups en harmonie cinétique avec la nature, pour le versant animal : pour l’humain, le très beau travelling latéral et temporel qui montre les élèves passant d’un niveau scolaire à l’autre dans le couloir de l’école.
Dès lors, la socialisation de l’une, le retrait dans les bois de l’autre génèrent des émotions intenses et à l’image de celles vécues par la mère. Alors qu’on souhaite la bienvenue à Yuki, les adieux qu’on fait à son frère sont d’une belle et complexe tristesse.
Alliance de modestie narrative et d’ambition émotionnelle, Les enfants loups, aura su faire l’éloge de l’entraide entre voisins ou du miracle d’un champ qui entre en croissance. Il aura permis un nouveau regard sur la forêt, ses zones d’ombre et les êtres qui l’habitent.
(7.5)