Fourbe fossette ambitieuse et passionnée

The Bad And The Beautiful peut sembler au prime abord un peu didactique. L’exercice de la mise en abîme d’un tournage au sein d’un film, est souvent de l’ordre du clin d’œil, mais Minnelli choisit, lui, d’en montrer toutes les ficelles pour dépeindre un portrait dépourvu de tout le miel que l’on prête généralement à Hollywood. Le résultat est un peu particulier, passionnant parce qu’il est narré avec beaucoup de talent mais quelque peu troublant par son côté introspectif : quand un réalisateur essaye de porter un regard, sinon lucide, au moins sincère, sur son propre métier, il le fait forcément au moyen de divers clins d’œil tirés de sa propre expérience, en s’inspirant de personnes qu’il a côtoyées.


Si le système de flashback peut paraître un peu facile sur la forme, il n’en est pas moins d’une efficacité redoutable. En l’espace de trois séquences parfaitement découpées, Minnelli pose tous les enjeux nécessaires à la compréhension de son propos. Chaque personnage qu’il présente est un moyen pour lui d’illustrer une facette bien particulière de l’industrie cinématographique et d’Hollywood en particulier. De la création d’une star, à la maîtrise de l’encre pour écrire une histoire qui fait mouche, en prenant aussi la peine de s’attarder sur les problèmes de financements et les relations à entretenir avec les bonnes personnes pour faire aboutir ses projets, rien n’est mis de côté. C’est passionnant, mais la rigueur très linéaire de l’ensemble peut parfois sembler un peu monotone. La leçon de cinéma est appréciable, mais il lui manque un peu de folie, son chemin balisé semble un peu trop mécanique.


Heureusement, L’homme qui lie les trois histoires, un producteur ambitieux auquel un père tyran a légué un empire ruiné, permet à cette narration un peu convenue de prendre sa pleine expression. The Bad And The Beautiful doit beaucoup à l’énergie d’un Kirk Douglas qui parvient à retranscrire, sans aucune fausse note, toute l'ambiguïté de son personnage. Un homme sincère, dont le feu intérieur est trop vif pour s’accoutumer de façon prolongée à la tendre présence de ses semblables. Un homme animé par les meilleures intentions du monde, totalement impliqué par chaque oeuvre qu’il produit, à tel point qu’il prend chaque décision avec la rigueur d’un automate sans se laisser le temps de la réflexion. Un homme qui a du mal à vivre avec les autres, marqué par son enfance, qui ne veut plus s’attacher à quiconque et dont la fibre dépressive n’est apaisée que lorsqu’il a la tête dans l’un de ses projets. Une âme meurtrie qui renoue avec le désespoir à chaque projection publique de l’un de ses films, symbole inéluctable de la fin d’un voyage qui signifie pour l’homme un retour au réel dans la douleur.


La complexité du personnage est parfaitement exploitée, jamais le spectateur ne ressent une antipathie réelle pour ce producteur trop fougueux, car finalement, même si son indélicatesse peut paraître rugueuse, elle est à l’origine du succès des trois personnages sujets des flashbacks. On pourrait même aller jusqu’à penser que finalement, ce producteur énervé est le seul à assumer pleinement sa propre nature, et sa soif de succès. Les autres se cachent derrière leurs principes, mais nourrissent, plus discrètement, la même ambition dévorante. Pour preuve, les trois larrons, bien qu'ils s'étaient promis de ne plus jamais fouler le même sol que l'objet de leur haine silencieuse, sont incapables de contrer l'attraction qui émane de la voix du producteur lorsqu'il énonce au téléphone le futur projet qu'il leur réserve.


Les ensorcelés est un film qui cache, dans les noir et blancs profonds et les multiples jeux de miroir de sa belle photographie, une densité thématique impressionnante. Son impeccable casting, dirigé d’une main de maître, permet à son intrigue convenue de se faire force avec violence dans l’esprit de son spectateur. Kirk Douglas, envoûtant en diable, joue de son charme hypnotique pour nous mettre dans sa besace en même temps qu’il manipule chaque personnage apparaissant dans le cadre. L’homme est omniprésent : même quand il n’est pas à l’image, il est question de lui. En témoigne ce final amusant, l’un des seuls moments du film où il n’est pas présent physiquement, pourtant irradié par sa personnalité. Un joli tour de force, qui sert une introspection critique franche et pertinente, qui témoigne de la difficulté à échanger autour d’un projet commun lorsque la passion s’en mêle.

oso
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le 9 oct. 2014

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