Les Esprits maléfiques du Japon par Alligator
avr 2011:
Foutre! Dès le visionnage, je me suis senti un peu perdu par ce film, situation qui génère bien souvent chez moi une sorte de rejet. Or, ici, ce ne fut pas du tout le cas, bien au contraire. Je crois que la forme du film comme son histoire m'ont laissé perplexe mais fasciné.
Dès le début, pendant le générique, l'image se révèle hypnotisante. J'ai tout de suite aimé la grande variété des cadrages, des mouvements de caméra et surtout le très gros travail du directeur de la photo Yasuhiro Hotta sur les noirs et blancs, tout en restant pour le moins circonspect devant un usage aussi audacieux de la bande son. En effet, on y voit une scène pendant qu'on en écoute une autre. De quoi perdre facilement le fil quand on est comme moi obligé de suivre les sous-titres anglais qui défilent à vitesse grand V.
Mais surtout cette histoire de sosies a tôt fait de me faire perdre pied. Je me raccroche aux branches. Un flic et un yakuza aux traits parfaitement similaires échangent leurs vies, leurs statuts et y prennent goût.
C'est en gros le fil conducteur d'un film très original dans la mise en forme de cette histoire un peu loufoque. Kuroki utilise avec une grande dextérité sa caméra et alterne les positions comme les techniques (à l'épaule, travellings, plongées, fixes, etc.) pour donner au film une belle liberté et une richesse de tonalités étonnantes.
Surtout, très proche des comédiens, le travail sur la photo appuie les contrastes entre ombres et lumières, ce qui a le double avantage de mettre en valeur les reliefs, le grain de la peau et ainsi de produire une image d'une sensualité incroyable. D'ailleurs, Kuroki multiplie les plans presque érotiques, des nus très doux, en accentuant l'espèce de langueur qui enveloppe les corps des personnages. C'est très joliment foutu.
Alors, si j'ai le sentiment de ne pas avoir tout bien compris, entre autres parce que je ne connais pas bien le fonctionnement des quartiers et clans de yakuzas, mais également par la structure alambiquée du récit, rendue encore plus complexe par l'ajout de plusieurs flash-backs, j'ai toutefois bien senti que l'auteur décrit un Japon très éloigné de celui que le cinéma traditionnel dépeint habituellement et qu'il s'est nourri d'un certain désenchantement. En effet, il est tout à fait perceptible que le regard est assez sombre, plein de distance, une position qui n'est pas dénuée d'un certain humour, un peu à l'image de ce chanteur folk qui navigue entre complainte adulte et comique troupier enfantin.
Ce sentiment est renforcé par les nombreux plans de forme documentaire sur les quartiers populaires. On est loin de la carte postale ou de la bluette romantique. La toute dernière séquence semble tout droit sortie du making-off du film avec cette conversation entre le chanteur et la superbe Michiko Takahashi. Sous cet aspect, j'ai souvent pensé à Wakamatsu, ce genre de cinéastes qui paraissent d'un pessimisme, d'un esprit écorché vif, mélancoliquement noirs, un peu en marge. C'est un cinéma pas si difficile que cela à appréhender. Je suppose qu'il entend s'exprimer par le biais d'une atmosphère, d'un rythme et de teintes singulières, un style très particulier. Sur ce point, cela me parait proprement réussi. Kazuo Kuroki : voilà un nouveau cinéaste que je me mets en ligne de mire.