Tout changer, pour que rien ne change. ETERNALS nous a été vendu comme une sorte de renouveau pour le Marvel Cinematic Universe (dont il est le vingt-sixième opus) : une copie plus sérieuse, plus qualitative, plus opératique dans ses enjeux, avec l’arrivée de la réalisatrice oscarisée (pour NOMADLAND) Chloé Zhao derrière la caméra.
Autant couper court à tout espoir : non, ETERNALS n’est pas un blockbuster d’autrice. La patte de Chloé Zhao, comme son amour des grands espaces nord-américains, est noyée dans le cahier des charges Marvel et les conditions habituelles de production. Disney a beau clamer avoir tourné au maximum en extérieur, le film sent surtout le filmage studio ou du moins l’abus de postproduction numérique. A l’exception, peut-être, d’une citation molle de THE RIDER, qui fait presque autoparodie de Chloé Zhao (en gros, ils ont mis un chapeau de cow-girl à Salma Hayek). Du reste, c’est un pur produit MCU : diktat de la petite vanne pour dégoupiller le moindre élan dramatique, casting inclusif au chausse-pied et au mépris de la cohérence (pourquoi Arishem a-t-il décidé de créer une Eternelle sourde et muette alors que ce sont des êtres synthétiques parfaits ?) et même rapport surcuté à l’action.
Mais ce n’est pas, à mon sens, la problématique la plus intéressante que soulève ETERNALS. Le film met en scène les Eternels (ça tombe bien, c’est marqué dessus), une race d’aliens surpuissants créée par les Célestes, les entités à l’origine de toute vie dans l’univers. Cette super-équipe de demi-dieux est censée veiller sur le développement humain depuis l’aube d’homo sapiens : on y retrouve des guerriers immortels répondant au nom de Circé, Thena, ou encore Gilgamesh, qui ont marqué de leur empreinte les croyances humaines au point de se décliner en une arborescence de mythes.
Le film devait donc relever un double défi : premièrement, comment représenter le divin, l’infiniment fort, le cosmiquement puissant, quand le spectateur a déjà vu les Avengers affronter Thanos (INFINITY WAR) en se balançant littéralement des planètes dans la poire ? Deuxièmement, comment faire ressentir le vertige et l'ineffabilité d’une puissance qui nous dépasse, dans un cinéma de divertissement accro aux effets spéciaux numériques et qui, de fait, est en capacité de tout représenter ou presque, sans contraintes techniques, ou presque ?
ETERNALS ne répond pas au premier défi. Il s’agit certes de sauver le monde. Mais ma foi, c’est un lundi comme un autre, dans le MCU. L’action qui nous est présentée n’excède en rien l’intensité d’AVENGERS voire d’un THOR 2 ou d’un GARDIENS DE LA GALAXIE. Les combats ressemblent pour la plupart à ce qu’on a pu déjà voir dans à peu près tous les opus, avec cette même obsession à la délocalisation de l'action dans des terrains vagues, pour affadir les enjeux. Les pouvoirs des uns et des autres ne surpassent en rien ceux de la Sorcière Rouge (manipulation de la réalité), Quicksilver (super-vitesse), Loki (illusions et contrôle des esprits) ou Thor (super-force, foudre). Le constat est là : ETERNALS voudrait nous donner à voir des Dieux, mais les Avengers en sont déjà, et jamais le film n’arrivera à sortir gagnant de cette comparaison. Les Eternels ne sont au fond que des Avengers alternatifs, des Dieux déjà usés de passer après les pionniers, et on imagine aisément les deux groupes ferrailler l’un contre l’autre dans un futur über-blockbuster qui viendra d’ici 2030. Eternal War ? Autant dire qu’on n’a pas hâte.
Ce qui nous amène au second défi, qui interroge notre regard de spectateur et ce qu’il reste de notre « sense of wonder ». Dans une saillie controversée mais qui a eu le mérite d’interroger un genre désormais roi, Martin Scorsese avait comparé les films de super-héros à des « parcs d’attraction ». Comprendre un shot d’adrénaline sans véritable rapport au cinéma comme art de la mise en image. Désormais il faut s’interroger : est-ce qu’à force d’emprunter le même grand huit film après film, on est ne serait-ce qu’encore capables de sentir l’adrénaline ? Puisque tout est désormais représentable, grâce à la révolution des effets spéciaux numériques, peut-on encore s’émerveiller devant une image de synthèse ? Le frisson d’action d’AVENGERS a-t-il survécu à dix ans de surenchère superhéroïque, avec toujours la même recette aux CGI ? ETERNALS, tout généreux qu’il est en matière de concept arts, touche à cette limite. La clé réside sans doute d’ailleurs davantage dans la qualité du metteur en scène que dans le talent des concept artistes. Rien n’impressionne vraiment, malgré les tentatives de jeux d’échelle. Malgré même les gargantuesques plans cosmiques, hommage aux planches de Jack Kirby, qui sont pourtant un des points forts visuels du film.
Plus que sa photographie terne et sous-exposée, c’est ce triste constat qui fait que ETERNALS nous tombe des yeux. Le genre super-héros n’a jamais paru autant à bout de souffle qu’avec un film supposé nous montrer des êtres transcender les limites du temps. Amer paradoxe. Les Dieux sont faits, usés : le mystique, l’ineffable n’a plus sa place dans un monde où tout est conceptualisable pour peu qu’on y mette les moyens. Du moins, ils ne passent plus par les effets spéciaux. Le « always bigger » est désormais l’ennemi du Grand.