La fibre artistique et les contraintes industrielles

Premier vrai film de la phase 4 pour moi (n'ayant pas encore vu Shang-Chi et considérant que BW ne compte pas vu qu’il se passe bien avant les faits actuels), ma hype pour le film a grandement évolué depuis son annonce. Initialement le projet le moins attrayant à mes yeux, il a progressivement gagné en intérêt au fur et à mesure des images dévoilées, pour finir sur une curiosité non dissimulée lors de la diffusion du trailer. Le film est enfin sorti, et 2h40 après, force est de constater que je n'ai pas boudé mon plaisir.


Chloé Zhao a su s'approprier le projet du mieux qu'elle a pu.


Quand on bosse pour une franchise aussi cadenassée que le MCU, difficile de réellement s'imposer en tant que réal, ce qui tombe encore mieux vu que Marvel apprécie sélectionner des réal au CV généralement très restreint ou loin des blockbusters traditionnels. Depuis les "enfants" de la télé, ayant fait leurs armes sur des séries, que sont Joss Whedon et les frères Russo, à des réals bien installés mais plus proches des films de genre comme Joe Johnston, Shane Black ou Kenneth Branagh, Zhao intègre quant à elle la catégorie des réal n'ayant réalisé qu'une petite poignée de films, généralement primés, suivant les pas de James Gunn, Scott Derickson, ou encore Taika Waititi dans le haut du spectre, et évitant de tomber dans l’écueil des gentils yesmen de première ligne type Peyton Reed ou Jon Watts.


Car ici nous avons droit à un résultat qui bénéficie réellement de la patte et la vision pourtant encore très jeunes de sa réalisatrice. Nous reviendrons sur les contrecoups, mais factuelement parlant ce film porte bien sa signature, de la même façon que l'emprunte de James Gunn est ce qui a tant joué dans la réussite et le succès des deux GotG.


Premier bon point : la galerie de persos. Introduire un nouveau protagoniste n'est déjà chose pas aisée, alors une dizaine ? Pas de panique pourtant, car en plus de l'insolence qu'a Marvel à savoir caster aussi impeccablement les interprètes de ses personnages, ces derniers sont suffisamment creusés pour qu'ils soient tous distincts et attachants à leur façon. J'ai une petite préférence pour Barry Keoghan qui a un espèce de charisme et naturellement Richard Madden, qui joue un simili-Superman dont Marvel ne s’en cache pas, allant jusqu’à référencer le super-héros de la maison adverse. Gemma Chan n’est pas en reste, même si son personnage est un peu plus conventionnel. Le reste des Eternals n’ont pas à rougir et il y en a pour tous les goûts. Depuis leurs looks à leur personnalités en passant par leurs pouvoirs et leurs états d’esprit respectifs, on a effectivement droit à une troupe bien diversifiée. Pas que ça n’était pas le cas jusqu’à présent ou que la diversité est une qualité en elle-même, mais parvenir à proposer des profils aussi distincts et suffisamment mémorables à leur échelle en un seul film est une gageure très appréciable. Les persos ne sont pas interchangeables et on ne tombe donc pas dans le syndrome du Hobbit.


En plus de cela ils sont abordés avec un certain naturel, et quelques uns d’entre eux ont des profils intéressants, entre Ikarus et ses convictions, Thena et son équivalent d’un PTSD ou Sprite et la confrontation entre ce à quoi elle aspire et ce à quoi elle peut prétendre à cause de son apparence. C’est évident que cette dernière soulève des questions auxquelles des membres de la communauté LGBT peuvent être exposée, sans être tape à l’oeil ou mélodramatique. Je comprends pourquoi Marvel refuse de tronquer son film pour satisfaire les marchés dérangés par ces aspects du film, car ils sont tantôt en filigrane comme avec le personnage de Sprite mais aussi plus explicites comme avec Phastos. Et tout ça fonctionne très bien.
Le film est d’ailleurs finalement un des rares films de Marvel à autant embrasser (sic) la romance, et c’est bien normal puisqu’en fin de compte il est tout de même question d’un groupe d’êtres exceptionnels venus de l’espace s’éprenant de l’humanité, de multiples façons.


Second bon point : la partie visuelle. On a des extérieurs à n’en plus finir, un éclairage qui fait beaucoup plus naturel qu’à l’accoutumée sur un produit du MCU et surtout, surtout, un regard de la caméra qui s’affranchit davantage des codes classiques de mise en scène auxquels la franchise nous a globalement habitués. Zhao laisse parler son souffle contemplatif sur une bonne partie du film et toute la mise en scène donne un résultat plus chaleureux et moins artificiel, et en plus de ça c’est plutôt réussi.
Les plans avec le soleil en contreplongée ou les plans d’ensemble soulignant la démesure tantôt d’un vaisseau, tantôt d’un être surnaturel… Les partis pris artistiques sont assumés et soignés, résultat le film est sincèrement plaisant sur le plan visuel.


Si les scènes d’action souffrent un peu plus du manque d’expérience de Zhao, quelques passages n’en demeurent pas moins satisfaisants voire épiques, les pouvoirs des Eternals sont d’ailleurs très sympas à mater.


Mais c’est clairement quand Zhao prend le temps de filmer le grand, le gigantesque, qu’on a droit à de beaux éclairs de plaisir visuel. Je ressens la même approche qu’un Gareth Edwards, grand spécialiste de la mise en scène du très très grand.


La musique est elle aussi très sympa, j’ai en tous cas été beaucoup plus attentif et réceptif à cette dernière qu’à l’accoutumée, trouvant que les sonorités épiques ont su éviter de tomber dans des envolées musicales trop fades et souvent oubliables, un souci dont souffrent plusieurs films du MCU.


Les enjeux sont clairement définis, et le lore agréablement étendu.


Mais toutes bonnes choses ont une fin, et il faut désormais que je parle de ce qui va moins bien.


Le film a fréquemment été comparé aux travaux de Snyder sur le DCEU, et je comprends effectivement pourquoi. D’abord dans son approche plus premier degré que jamais de cette espèce de mythologie Marvelienne, mais aussi dans sa construction narrative, car malheureusement c’est un des gros points noirs de ce film.


Non content d’être une origin story banale, The Eternals doit supporter le challenge supplémentaire de justifier l’existence de ces être dans notre monde depuis des millénaires, établir des enjeux titanesques, introduire un pan supplémentaire de la mythologie, mettre en place une réunification et narrer tout ça sans perdre les spectateurs les moins attentifs.
On a presque un équivalent narratif de Man Of Steel : un/des êtres aux pouvoirs surnaturels, cachés parmi les humains depuis des années, et se posant des questions sur leur immobilisme, l’humanité et son salut lorsqu’ils sont forcés à affronter une menace d’ampleur inédite et mondiale.
Si The Eternals évite fort heureusement de tomber dans le même style narratif insupportable que MoS, il n’évite pas un cahier des charges assez lourd, impactant le film sur de multiples aspects, depuis l’humour (même si celui-ci est loin d'être naze et reste minime au demeurant) jusqu’à une check-list d’éléments plus ou moins dispensables comme du name dropping facile, mais le plus loupé c’est évidement l’exposition.


Comme indiqué plus haut, le film (et par extension Marvel) est trop effrayé à l’idée de laisser son public deviner les faits et les informations autrement qu’en les sortant de la façon la plus machinale possible par nos protagonistes. The Eternals étend grandement l’univers et introduit pas mal d’informations intéressantes, saut que la grosse majorité du temps c’est vomi dans des dialogues très très peu subtils.


Résultat : j’aurais pu apprécier ce runtime généreux, si seulement il n’était boursoufflé par cette exposition abusive. On ne prend donc plus autant de plaisir que ça à suivre les pérégrinations et découvertes de nos héros et c’est bien dommage.


Autre défaut : si la galerie de personnage est réussie et plutôt attachante, elle n’est pas parfaitement exploitée et certains persos finissent par être quelque peu oubliés dès lors qu’il faut arranger le scénario. C’était un risque à prendre en faisant un premier film sur un groupe de dix individus en principe tous aussi importants les uns que les autres, et si c’est loin d’être loupé ça aurait pu être mieux exécuté.


Un autre défaut : malgré des enjeux gargantuesques et des visuels qui les soulignent parfois avec énormément d’efficacité, nous ne les ressentons en fin de compte pas tant que ça, notamment à cause d’un déroulement narratif très (trop) conventionnel, et un Deviant « principal » peu marquant malgré son importance.


Un film qui a donc de beaux défauts, la plupart découlant d’un cahier des charges trop conventionnel, mais qui jouit de persos variés et attachants, porté par un casting très convaincant, sublimé par des visuels et une BO relativement inspirés grâce aux efforts de Chloe Zhao pour la réalisation et Ramin Djawadi pour la musique.


J’ai donc bien aimé ce The Eternals malgré ses tares, et j'ose espérer que Marvel osera davantage lâcher du lest sur ses réals.

Chernobill
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le 7 nov. 2021

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