Morgan de toit
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Dans la fameuse série des films qu’il n’est pas aisé de revoir longtemps après l’émotion juvénile de leur découverte, Les Évadés occupe une place de choix.
On décèle très vite, dans cette ode à l’amitié, l’espoir et la persévérance les nombreuses ficelles à l’œuvre, et on peut qualifier de facilités un certains nombre de procédés. Le film pourrait être comparé à ces blagues qu’on écrit en partant de la fin, de manière à ce que tout puisse, de manière très pratique (« conveniant », en VO, comme le répète le procureur lors du procès inaugural, sans qu’on sache si cette mise en abyme un peu ironique soit volontaire ou non), se combiner et offrir un dénouement satisfaisant comme la dernière pièce d’un puzzle de 1000 pièces.
Et pourtant : dans cette efficacité narrative on ne peut plus américaine, Les Évadés est un modèle du genre.
(La suite regorge de spoils)
Tout d’abord parce qu’il n’annonce pas la couleur, n’en déplaise à ce stupide titre en VF, The Shawshank Redemption se contentant de pistes beaucoup plus larges. D’une certaine manière, c’est l’inverse absolu de La Grande Evasion : on n’apprendra le projet qu’à la faveur d’une révélation finale, occasionnant d’ailleurs un grand plaisir pour qui revoit le film et y décèle de savoureux indices, à l’image de cette scène d’inspection durant laquelle Dufresne confie sa Bible au directeur.
La mécanique est parfaite : de ses compétences de fiscaliste à son humanisme lui permettant de construire une bibliothèque, Dufresne fait de la longueur de sa peine un terrain sur lequel il bâtit, et s’occupe, entraînant à sa suite un groupe de détenus avec lesquels on sympathise, et l’adhésion totale du spectateur. A partir du moment où la révision de son procès est envisageable (grâce, là encore, à une belle coïncidence d’un témoignage venu opportunément relancer la machine narrative), la chute est brutale et fait de sa collaboration un esclavage, rappelant pour qui l’aurait oublié que l’incarcération n’est pas une partie de plaisir, n’en déplaise aux « rationnalisés » qui ne peuvent plus imaginer vivre dehors après des décennies à l’ombre.
L’évasion sonne ainsi comme la revanche et la récompense suprême du spectateur, qui voit toutes les pièces s’assembler, et un projet au long cours faire du protagoniste un joueur d’échec redoutable, planifiant 20 ans à l’avance le mat parfait, avec punition des méchants en bonus, et carte postale finale assumée.
L’esprit du conte n’est pas loin. Mais là n’est pourtant pas l’essentiel. A cette satisfaction enfantine répond une autre épaisseur, et notamment celle du temps. Les Évadés est un long récit dans lequel on a soin de prendre son temps : la difficulté des conditions d’incarcération (par les viols en série, ou la violence des traitements, par exemple, qui dénotent avec l’esprit plus bon enfant du reste du film), l’importance de la répétition et des évolutions (la procédure de libération de Red, le changement des posters dans la cellule d’Andy comme indicateurs d’un air du temps en pleine évolution) densifient considérablement la réclusion. De la même manière, c’est par les portraits d’un communauté que l’empathie peut surgir, jusqu’à cette longue séquence sur la vie à l’extérieur de Brooks, et des échanges qui visent à définir l’indicible d’un espoir, lyriquement personnifié par cette irruption de la musique clandestinement offerte à la collectivité. C’est aussi la raison pour laquelle l’évasion d’Andy ne clôt pas le récit, qui mettra encore une bonne vingtaine de minutes à se conclure : aussi satisfaisante soit cette résolution, il ne s’agit pas de saboter la patience avec laquelle on avait abordé les personnages jusqu’alors : Red aura aussi droit à sa rédemption, d’autant plus émouvante qu’elle aura du attendre une nouvelle décennie pour éclore.
Condensé d’efficacité, qui figure probablement dans les manuels d’écriture, The Shawskank Redeption peut donc évidemment prêter le flanc à la suspicion. Mais, plutôt que de bouder son plaisir en faisant appel à une maturité qui rend souvent triste, autant laisser la nouvelle génération se laisser prendre à cette machinerie redoutable : les enfants ont, comme prévu, adoré.
(7.5/10)
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Créée
le 6 avr. 2020
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