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Un homme et une femme, version Kaurismäki

C'est, bien sûr, à cent lieues du Lelouch de 1966.

Le titre du film m'a intrigué. Pourquoi Les Feuilles mortes, puisque l'histoire raconte les compliqués débuts d'une histoire d'amour qui ne se conclut heureusement qu'à la toute fin du métrage ?

Il m'est venu à l'esprit que le film faisait peut-être lointainement référence à une histoire d'amour que Kaurismäki avait vécue et qu'il avait voulu ressusciter dans cet opus. Je ne vois aucune autre raison justifiant qu'on entende, sur les dernières images du film et le générique final, cette belle et triste chanson de Prévert et Kosma, dont je vous rappelle le refrain :

C'est une chanson qui nous ressemble... Toi, tu m'aimais et je t'aimais

Nous vivions tous les deux ensemble, toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.

Mais la vie sépare ceux qui s'aiment, tout doucement, sans faire de bruit

Et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis.

C'est un film qui apparaît comme assez austère, se passant dans un univers prolétarien et insistant beaucoup sur le monde du travail dans lequel vivent les deux personnages principaux : la femme (Ansa) travaille, en tout cas initialement, dans un supermarché (elle place les produits dans les rayons, retirant de ceux-ci les produits périmés) et l'homme (Holappa) fait un travail manuel de soudeur métallurgique ou un truc comme ça. Ce sont deux solitaires, deux célibataires de trente, trente-cinq ans. Ils se rencontrent dans un café qui organise, toutes les fins de semaine, une soirée de karaoké. Ils sont attirés l'un par l'autre et vont tenter de nouer une relation, mais... ce qu'on va appeler le destin ne leur facilite pas les choses. D'abord, l'homme égare le n° de téléphone que la femme lui a donné après une séance de cinéma à laquelle il l'a invitée. Il se trouve qu'il a un problème de boisson, ce qui fait qu'il a du mal à tenir un travail. Il en change ainsi plusieurs fois. Pour d'autres raisons (la faute a pas de chance), elle aussi. Ensuite, par amour pour Ansa, qui lui a dit qu'elle ne voulait pas d'un ivrogne, Holappa parvient à arrêter de boire. Et là, le "destin" se met une nouvelle fois en travers de leur rapprochement...

C'est raconté très sobrement, de façon presque bressonienne. D'ailleurs, le texte du film cite le nom de ce réal. Il y a, il est vrai, de nombreuses références à des films, réalisateurs ou acteurs & actrices célèbres. J'ai remarqué, en vrac, outre Bresson (Journal d'un curé de campagne), Godard (Bande à part, Pierrot le fou), Visconti (Rocco et ses frères), Melville (Le Cercle rouge), John Huston (Fat City), Jim Jarmusch (The Dead Don't Die), Chaplin (c'est le nom que donne Ansa à son chien et qu'elle révèle à son compagnon dans la toute dernière scène, le film pouvant lui-même rappeler Les Temps modernes par certains côtés), Bardot (dans Le Mépris de Godard), Trevor Howard (pas identifié l'oeuvre dont il était tête d'affiche), etc.

L'harmonie des couleurs du film est très étudiée (des rouges, des vert pâle, jaune pâle, et du blanc et du noir). L'histoire est filmée et montée de façon apparemment très simple. Il y a de très beaux plans fixes, d'assez rares plans d'ensemble. La bande son est, elle aussi, soignée : les moindres petits bruits d'ambiance sont audibles : le pépiement d'un oiseau, le froissement des billets qu'un homme compte. Les musiques choisies forment un curieux melting pot : ça va de La Pathétique, dont on entend deux mouvements, à des morceaux de rock (dont un superbement joué et chanté par deux jeunes femmes), en passant par Mambo Italiano, pour finir sur l'archi-célèbre Les Feuilles mortes. La bande musicale joue un rôle très important dans le film ; elle remplace souvent les dialogues, elle parle à la place des gens quand ils n'ont pas les mots qu'il faudrait.

J'ai noté aussi la particularité des rapports physiques entre Ansa et Olappa : à la fois très peu démonstratifs, presque guindés et parfois charmants (un bisou sur la joue, un surprenant et très inattendu clin d'oeil).

L'humour, souvent froid (on est en Finlande), court dans tout le film, parfois énorme, parfois à peine perceptible.

Les deux comédiens principaux sont inconnus du grand public, peu spectaculaires et très naturels.

Les Feuilles mortes raconte une histoire triste qui finit bien, une histoire de gens pauvres, humbles, courageux et qui, malgré la dureté de la vie, les obstacles rencontrés, parviennent à s'aimer et à trouver une forme de bonheur.

C'est un film qui sonne vrai. Un film honnête.

Fleming
8
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le 26 sept. 2023

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Fleming

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