[Chers lecteurs, chères lectrices (enfin, s'il y en a !), je suis obligé de vous faire une confidence embarrassante. En un quart de siècle de cinéphilie, je n'avais jamais vu le moindre film d'Aki Kaurismäki. Oui, je sais, c'est une honte. Oui, je suis conscient de mériter votre opprobre à vie. En tous les cas, pour les personnes habituées à visionner des œuvres du cinéaste, je balance certainement des évidences bien évidentes à propos de son style (dans le visuel, dans le ton !) ou de ses thématiques. S'il vous plaît, soyez indulgents à mon égard. Et oui, promis, je rattraperai mes grosses lacunes en visionnant d'autres longs-métrages du Monsieur finlandais. D'autant plus que j'ai apprécié ces Feuilles mortes.]
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Si l'on se contentait de résumer l'intrigue de l'ensemble dans les grandes lignes, cela ne se distinguerait pas de la palanquée de comédies romantiques que nous chie chaque année Hollywood, avec des stars et des personnages glamours, ces derniers ayant un job de rêve, un mode de vie très confortable avec tout plein de placements de produits coûtant minimum deux années de Smic, tout en n'ayant pas l'air d'en branler une. Ouais, et pourtant le Kaurismäki fonctionne à fond pour une seule et unique raison : c'est un film de Kaurismäki.
Déjà, on n'a pas affaire à des personnages glamours, incarnés par des stars glamours. On a affaire, au contraire, à du bon prolo, auquel on peut s'identifier et auquel on s'attache facilement, exerçant des emplois alimentaires, que l'on voit de temps en temps bosser, sentant bon la vieillesse prématurée, la pénibilité et (pour l'homme du couple se formant !) l'odeur de l'alcool mélangé à du tabac. Deux solitudes qui se rencontrent (à tel point que lors d'une séquence qui en dit long, on voit la femme du futur couple acheter des deuxièmes couverts dans un Lidl, après avoir invité à diner chez elle l'objet de sa flamme !), la dame assez équilibrée, malgré son isolement affectif et physique, le monsieur devant faire face à des démons éthyliques fort gênants, notamment pour ce qui est de conserver un travail.
Il y a ensuite un esthétisme bien particulier, avec ses couleurs chaudes, parfois même vives, mais mises en relief dans une lumière de jour grisâtre ou par les lueurs électriques moroses de la nuit. Et s'il n'y avait pas de flashs infos radiophoniques sur la guerre en Ukraine, on pourrait légitimement se demander si les protagonistes ne vivent pas dans une époque du passé vu qu'ils ne semblent qu'avoir la radio pour les occuper chez eux, que l'un donne à l'autre un bout de papier au lieu de faire lui taper son 06 dans son répertoire de contacts, que le seul téléphone portable à apparaître en est un à clapet de quinze ans d'âge minimum. Les nombreuses références à un septième art révolu, en particulier hexagonal, renforcent cette impression (ne serait-ce que le titre bien prévertien !).
Et surtout, il y a ce ton complètement détaché. Les personnages lancent sans arrêt des répliques cyniques et/ou sarcastiques avec une totale maîtrise de soi. Ce qui crée un véritable humour à froid, provoquant souvent le rire du spectateur (ah oui, au passage, les dialogues sont un régal !). Étant donné le milieu social dans lequel le tout se déroule, étant donné le sujet et ses rebondissements, on aurait pu marcher en plein dans le misérabilisme, englouti sous des scènes de cris et de larmes. Eh bien, pas du tout, mais alors pas du tout, du fait de cette comédie pince-sans-rire. J'avoue que rien que la discussion entre deux cinéphiles, sortant d'un cinéma, disant que The Dead Don't Die de Jim Jarmusch leur rappelle le cinéma de Godard et de Bresson, m'a fait plier en deux (il est vrai que Robert Bresson est sans conteste le réalisateur à avoir mis en scène le plus grand nombre de films de zombies !).
Pour finir, Les Feuilles mortes me pousse à cette interrogation bien personnelle de ma part : mais bordel de putain de merde, pourquoi ai-je mis autant de temps avant de me lancer dans la filmo de Kaurismäki ? On est faits pour s'entendre.