Un melon de la taille d'un champignon !

Christopher Nolan est un putain d'excellent technicien (sachant admirablement s'entourer à ce niveau-là !). Il arrive à faire des images à tomber à la renverse, aussi bien par leur réalisme que par leur ampleur. Je n'ai jamais eu l'impression qu'il ait utilisé du CGI. Si c'est le cas, il l'a bien fait, car ce n'est absolument pas visible. Et bordel, à une époque étouffant sous du CGI et des fonds verts bâclés horriblement dégueulasses, qu'est-ce que ça fait du bien.


Par contre, Christopher Nolan est un putain de très mauvais conteur. Et cela se voit depuis qu'il se croit capable d'assurer à lui tout seul l'écriture des scénarios de ses films, sans l'aide fort indispensable de son frère Jonathan.


Ses dialogues ne sonnent pas du tout naturels, ayant pour quasi-unique fonction d'exposer les situations et de présenter les personnages, parce que le réalisateur-scénariste n'a pas compris l'adage "show don't tell". Il n'est pas capable de saisir que le spectateur doit de temps en temps comprendre par lui-même qu'1 + 1 = 2. Il n'est pas capable de saisir qu'un personnage peut être présenté par sa manière de se comporter, par ses paroles (en dehors de tout aspect d'exposition !), par ses actes. Je n'ai rien contre le fait qu'un caractère soit révélé par le biais de la parole, mais Nolan le fait pour chacun et au bout du cinquantième, cela devient non seulement lassant, mais il est aussi difficile de retenir qui est qui, pourquoi untel est là, pourquoi il agit comme cela, plus généralement quelle est sa raison d'être dans le récit.


Ah oui, un truc con chez le cinéaste qui est tellement employé que cela en devient un running-gag involontaire : "bonjour", "au revoir", "bonsoir", "salut" ne font pas partie du vocabulaire du Monsieur... non, à chaque fois qu'un nouveau personnage est introduit, c'est "Oh Albert", "Oh Robert", "Oh Je-Ne-Sais-Plus-Qui". Il s'ensuit (pour en revenir au défaut mentionné plus haut !) soit une longue explication dialoguée pour dire qui est "Oh Gnagnagna", soit rien du tout parce que "Oh Gnagnagna" ne sert strictement à rien, si ce n'est de silhouette dans le décor.


Et lié aux personnages, c'est compliqué dans cette masse verbale (et musicale, mais je vais tout de suite revenir après sur cet aspect !) assommante d'ingurgiter les divers enjeux.


Ah ouais, et parfois le fait de ne pas avoir constamment de musique, c'est bien aussi. C'est une évidence n'est-ce pas ? Ben, pas pour Nolan. Quand elle est fourrée, pratiquement sans interruption, tout au long du long-métrage, il y a un point non négligeable qui est oublié, à savoir que la musique au cinéma a notamment pour mission souligner un moment essentiel.


Tout ce que je viens d'écrire, je pourrais quasiment le copier-coller sur n'importe quel film du réalisateur depuis Dunkerque (tiens donc, à partir du premier long-métrage pour lequel il s'est mis à écrire seul !).


Pour le cas spécifique du biopic Oppenheimer, je commence par la musique. Oppenheimer fait quelque chose de banal, on fait péter les tympans. Oppenheimer fait quelque chose d'important, on fait péter les tympans. Oppenheimer fait quelque chose entre le banal et l'important, on fait péter les tympans. Mention spéciale aux moments précédant l'essai lors desquels on a le droit à une atroce imitation de Vivaldi, interprétée par des violonistes amateurs bourrés. L'énorme potentiel dramatique de cette scène est gâché par cela.


Pour ce qui est des enjeux, autant jusqu'à l'essai, ce n'est pas difficile d'ingurgiter, dans les très grandes lignes, qu'un physicien brillant, durant la Seconde Guerre mondiale, est chargé par son pays, les États-Unis, de diriger un programme top secret, le projet Manhattan, en prenant la tête d'une vaste équipe devant créer la première bombe nucléaire, avant les nazis, et devant réussir à prouver la possibilité de son utilisation, autant, pour l'Après-guerre, on est plongé encore plus profond dans la plus grande des confusions (dans la partie film-dossier, déjà esquissée en parallèle auparavant !), même dans les très grandes lignes, pour savoir qui est qui, pourquoi untel est là, pourquoi il agit ainsi (oh mon Dieu, untel a trahi... euh, c'est qui celui-là déjà ?), quelle est la raison d'être de sa présence. D'autant plus que dans Oppenheimer, Nolan veut tellement (trop !) en raconter qu'il enchaîne à vitesse grand V, sans prendre le temps (en dépit d'une durée de trois heures !) de faire vivre ses innombrables personnages, sans laisser souffler la plus petite séquence, sans même la poser.


Et je peux vous dire qu'avec tous les soucis que j'ai énumérés, cela devient très vite chiant. Et d'après ce que j'ai vu dans la salle de cinéma où j'ai regardé le film, j'étais loin d'être le seul à le penser au nombre des portables allumés pour regarder l'heure, une fois la première moitié passée.


Et le casting d'ultra-gros malade de la mort a beau être ultra-gros malade de la mort, ben, à cause de tous les défauts mentionnés, ils ne peuvent rien faire pour injecter de la consistance à leur rôle.


Vous voulez un exemple précis pour que je mette en exergue combien Christopher Nolan est un scénariste à chier, sans l'aide de son frère ?


Le protagoniste est en train d'être chevauché par sa maîtresse, Jean Tatlock, quand celle-ci interrompt brutalement le coït pour aller vers la bibliothèque du scientifique, à quelques mètres derrière elle, pour faire remarquer qu'elle est surprise que son amant ait en sa possession le texte hindouiste Bhagavad-Gita, dans sa version originale, en sanskrit. Alors soit Tatlock a des yeux sur l'arrière du crâne hyper-performants pour découvrir la présence de ce livre dans les étagères à cet instant-là, soit elle l'avait découvert avant le partage de transpirations, mais n'a pas l'idée d'expliciter pourquoi elle balance cela une bite enfoncée dans sa chatte. En tous les cas, c'est une manière fort maladroite pour exposer une caractéristique du futur "père de la bombe atomique", son intérêt pour des disciplines autres que scientifiques, et le fait qu'il ait cité directement l'œuvre hindouiste, par la suite, par rapport à son œuvre de destruction.


Je ne sauve que trois scènes qui auraient mérité d'être incorporées dans un résultat global bien supérieur. Oppenheimer fait un discours belliqueux pour féliciter son équipe, quand il perçoit d'un coup, anéanti, instinctivement, les conséquences abominables concrètes que le fait d'être devenu la "Mort, le destructeur des mondes" a sur des innocents. C'est l'une des deux seules putains de fois lors de laquelle le visuel et la narration arrivent à faire passer un message, sans dialogue, sans musique (un miracle... quelques dizaines de secondes sans entendre une note soulante !), l'une des deux seules putains de fois lors de laquelle Nolan applique le vieil adage "show don't tell". Et l'échange mystérieux, au bord de l'eau, entre Robert Oppenheimer et Albert Einstein, pendant lequel le recours au verbe est cette fois justifié et habile, car, sans trop spoiler, tout ce qui est dit, tout ce qui est suggéré, va bien au-delà des mots. Et bien sûr, l'essai lui-même (l'autre des deux putains de fois !), avec la bonne idée de désynchroniser le son et l'image, pour mettre en avant une apocalypse, dépassant, transcendant toutes les limites terrestres inimaginables (et je me répète, mais c'est un putain d'excellent technicien, le Nolan... !).


Mais c'est bien mince sur 180 minutes, synthétisant le pire d'un artiste surestimant considérablement ses capacités, dénonçant un melon aussi énorme qu'un champignon nucléaire (ben oui, s'il n'avait pas été aussi orgueilleux, si imbu de sa personne, Dunkerque et Tenet lui auraient ouvert les yeux sur ses grandes limites !). Oppenheimer avait tout pour faire un film puissant, complexe et dérangeant. Il a le technicien qu'il mérite, mais il aurait mérité un réalisateur et un scénariste bien meilleurs.

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le 20 juil. 2023

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Plume231

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