Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise adaptation, il y en a des fidèles et d'autres qui s'éloignent plus ou moins du matériau d'origine. Et la qualité d'un film, issu d'une adaptation cinématographique, pour moi, ne se base nullement sur ce critère. Qu'il s'appuie sur un scénario adapté ou sur un scénario original, un bon film, c'est généralement une globalité d'enjeux forts, de personnages et de relations entre ces derniers bien creusés, pour donner de la consistance et de l'émotion, ainsi que, pourquoi pas, une ou plusieurs thématique(s) bien traitée(s). Évidemment, il faut, en supplément, une distribution et une mise en scène qui soient à la hauteur. Si un film arrive à offrir tout cela, il est réussi.


Bon, je n'ai pas vu le diptyque Pathé des Trois Mousquetaires pour une raison précise : vous confiez de l'or à Martin Bourboulon, il vous le transforme en caca. Papa ou Maman a un sujet possédant un beau potentiel pour être une comédie subversive, avec un côté méchant et peu politiquement correct pour bien tacher ? Il défèque un machin inoffensif, bien consensuel, aux caractères mal définis. Eiffel promet de déchirer en évoquant, avec un budget conséquent, une prouesse ingénierique et humaine époustouflante ? Il défèque une romance ultra-stéréotypée, débile et bien larmoyante entre deux jeunes gens qui ont grandi ensemble, mais avec le type du couple qui a l'âge d'être le père de son amoureuse. Bref, j'ai préféré arrêter les dégâts face à un tel "talent" pour la nullité la plus abyssale.


Ce qui fait que Le Comte de Monte-Cristo est ma première confrontation avec le Alexandre Dumas Cinematic Universe. Donc, jusqu'ici, je n'avais rien contre Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte. D'autant plus que je n'avais pas passé un désagréable moment devant Le Prénom, leur première réalisation.


Ce serait un euphémisme de dire qu'adapter, librement ou non, le monument littéraire, de plus de mille pages, écrit par Dumas, en trois heures, est une chose difficile. Il y a le risque de devoir enchaîner les rebondissements à la vitesse grand V, sans jamais prendre le temps de se poser pour approfondir quoi que ce soit, enjeux, personnages, relations entre ces derniers, thématique(s).

Malheureusement, ici, on marche en plein dedans. Cela s'enchaîne, s'enchaîne et s'enchaîne et... s'enchaîne. Voilà. Cela se résume à un enchaînement à vitesse grand V.


À cause de cela, quand une histoire d'amour est fracassée, je m'en suis foutu, quand une autre s'accomplit, je m'en suis foutu, quand l'heure des vengeances a sonné, je m'en suis foutu. Enchaînons, enchaînons, on n'a pas le temps. Les acteurs n'ont pas réellement la possibilité de sauver les meubles, quand ils ne s'égarent pas sporadiquement dans des dialogues trop littéraires pour qu'ils puissent les débiter avec naturel (mention spéciale à Anaïs Demoustier, comédienne que j'adore habituellement, qui peine sérieusement lorsque Mercedes demande à l'ancien objet de sa flamme d'épargner son fils... ce qui passe sur le papier ne passe pas forcément sur la pellicule !).


Parfois, conséquence de cet enchaînement à vitesse à fond sur la pédale d'accélération, les règles les plus élémentaires de la narration cinématographique, visuelle et scénaristique, sont complètement niquées et on accouche d'un n'importe quoi total. L'exemple le plus probant, c'est après qu'Edmond Dantès est parvenu à s'échapper du château d'If. Traverser tout un petit bout de la Méditerranée (1,5 kilomètre pour arriver à Marseille, si je me fie à ChatGPT, ce qui n'est pas la mer à boire pour un nageur aguerri, l'adrénaline et la motivation compensant une pratique sportive inévitablement négligée... mais, dans ce cas, on n'intègre pas un plan d'ensemble semblant montrer une étendue d'eau infinie, comme s'il y avait tout un océan à défier... bordel, il fallait montrer les côtes visibles au loin !) consiste à faire une petite longueur dans une piscine (oui, les ellipses dégagent ce sentiment !). Cela n'aurait pas été gênant si cela avait été raccord avec la véritable géographie. Dans cette optique, Dantès aperçoit les côtes. Il y a un plan du héros nageant vers celles-ci. Scène suivante, il a atteint le rivage. Ça, ça aurait fonctionné.


Autrement, en ce qui concerne la vraisemblance, la domestique ne reconnaît pas le protagoniste alors qu'il a uniquement besoin de faire un petit tour chez le coiffeur et le barbier (par contre, ils sont sympas au château d'If, ils fournissent de la crème anti-rides efficace à leurs prisonniers !). Pour le lieu dans lequel est caché le trésor, durant le plus du demi-millénaire, entre la fin du règne de Philippe IV le Bel et les premières années de celui de Louis-Philippe Iʳᵉ, personne n'a eu l'idée de fouiller dans un endroit aussi bien mis en évidence ? On est loin du truc à l'abri des regards. Et pour le bébé, Villefort l'enterre sous une petite couche de terre pour qu'il soit déterré aussi vite ? Et les bougies dans la cellule de l'abbé Faria ? Ce dernier va les acheter au supermarché du coin ? Et il n'y a qu'un seul serviteur pour s'occuper des vastes demeures du comte ? Il n'y avait pas la possibilité, avec plus de 42 millions d'euros, d'embaucher quelques figurants supplémentaires pour jouer des domestiques ? Ouais, je pinaille sur des machins à la con, mais pour moi, c'est de la négligence, du bâclage, et ça ne m'aide pas du tout à entrer dans le film (ce qui ne change rien puisque je n'y étais pas vraiment entré, de toute façon !).


Et pourquoi Andréa est abattu alors qu'il aurait pu facilement être arrêté (il est désarmé, à quelques mètres de distance, à l'intérieur d'un espace clos avec des gardiens partout) ?


Sinon, à la BO, la culture cinéphile et musicale de Jérôme Rebotier a l'air de se réduire à Hans Zimmer chez Christopher Nolan, qu'il pompe (Zimmer, pas Nolan !) sans la moindre créativité et qu'il balance partout, même quand ça ne correspond pas du tout au ton de la séquence.

Dans le peu de positif, il y a les intérieurs de résidences luxueuses, richement fournis en éléments de décoration de l'époque de l'action, un germe de bonne idée (mais survolé parce que... enchaînons, enchaînons !), par l'intermédiaire des personnages d'Haydée et d'Albert de Morcerf, qui aurait pu fournir un angle d'attaque intéressant pour une réflexion sur la vengeance, et deux-trois scènes qui... ô miracle... savent prendre leur temps (le diner autour du coffre vide ou encore le petit suspense pendant l'évasion de la forteresse... même s'il aurait été beaucoup plus percutant si l'autre coco avait grimpé la corde au lieu de rester à gueuler, contre toute logique, comme un con en bas… !) et qui auraient mérité d'être incorporées dans un tout bien supérieur.


Ces quelques (petites et parcellaires !) qualités évitent à Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte d'être aussi "talentueux" dans la nullité que Bourboulon, mais il n'y a pas de quoi se réjouir non plus.


Si vous voulez visionner des versions intéressantes adaptées, plus ou moins fidèlement, du même ouvrage (je cite les œuvres suivantes pour leurs qualités personnelles, selon les critères énumérées au début de la critique, que ce soit bien clair !), je vous recommande la mini-série de Denys de La Patellière (oui, le papa d'Alexandre !), diffusée en 1979, avec Jacques Weber dans le rôle-titre, ou le film muet de 1929, en noir et blanc, en deux parties, de près de quatre heures en tout, d'Henri Fescourt. Et si vous souhaitez du souffle romanesque puissance 10000, qui ne vous lâchera pas tant que vous n'aurez pas terminé ce livre, provoquant une puissante excitation et quelques nuits blanches de ouf, foncez vers ce fabuleux chef-d'œuvre absolu qu'est Le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas (et d'Auguste Maquet... ouais, faut pas l'oublier celui-là !). Vous allez vivre une expérience littéraire incroyable.

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le 1 juil. 2024

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Plume231

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