La vengeance aux multiples visages

Il faudrait un jour se rendre compte que, finalement, Alexandre Dumas avait déjà tout compris à notre culture populaire avec plus de cent cinquante ans d'avance : le feuilleton, le revenge movie, les bases du super-héros...

Pas étonnant donc que l'on pioche allègrement dans l'oeuvre de cet illustre artiste pour réaffirmer la capacité du cinéma français à rivaliser avec le sens de l' entertainment typiquement américain... Même si l'on se gausse parfois en taxant la démarche de passéiste...

Alors, après un diptyque de Mousquetaires, c'est au tour, en 2024, de la figure archi populaire du Comte de Monte-Cristo de faire l'objet d'une nouvelle adaptation, dont Guillermo Del Toro aura longtemps nourri l'envie, avant que ce projet ne rejoigne ses nombreux fantasmes inassouvis.

Des adaptations ayant la même équipe technique, mais s'inscrivant dans des regards différents portés sur le monde de Dumas. Ainsi, si en 2023, deux films n'étaient pas de trop pour conter des exploits tout en capes et épées, on mise en 2024 sur une saga de trois heures qui fait beaucoup moins parler la poudre des plans séquences cools pour illustrer les duels.

Pour le meilleur, sans doute.

Car Le Comte de Monte-Cristo se montre parfaitement équilibré et rythmé, surclassant en cette matière un étrange Milady qui se perdait de manière inexplicable dans sa tentative de raccrocher les wagons avec D'Artagnan. On ne voit donc jamais le temps passer, ni poindre l'ennui, tant Matthieu Delaporte et Alexandre De La Pattelière semblent avoir eu à coeur non pas d'illustrer simplement un bouquin connu de tous, mais de dessiner un personnage désespéré, victime d'une véritable tragédie qui l'abîmera sans espoir de retour. Le duo est par ailleurs bien aidé par un Pierre Niney de gala, impeccable au fil de ses transformations successives, évoluant de la naïveté à une noirceur insondable.

Et si les grincheux déploreront que les tripatouillages de réécriture du bouquin condamnent de facto toute fidélité, force est de reconnaître aux sieurs Delaporte/De La Pattelière qu'ils en respectent cependant le plein esprit et que leurs raccourcis participent à une particulière fluidité de l'ensemble, là où le risque était par exemple d'accorder trop d'importance à l'emprisonnement d'Edmond Dantès. Mais le plaisir de l'entreprise, c'est celui de voir Monte-Cristo bâtir patiemment et dans les moindres détails les plans de sa revanche funeste, avec l'aide de personnages secondaires recrutés comme Bruce Wayne s'adjoint les services des Robin de sa bat-family. Et de voir peu à peu le malaise grandir dans le giron de certains personnages retors que l'on adore détester, au terme de quelques scènes formidables, dont une montée en tension le temps d'un funèbre dîner adoptant des allures d'occultisme.

Monte-Cristo, quant à lui, n'aura jamais autant ressemblé à un mort-vivant, comme le suggère les circonstances de son évasion du Château d'If. Ni jamais été aussi résolu, raffiné et machiavélique dans ses manipulations déployées, ses masques et ses artifices.

Conjugués à une direction artistique impeccable, un tiercé de traitres au diapason et une réalisation classique mais élégante, Le Comte de Monte-Cristo cru 2024 renoue tout simplement avec le souffle épique et romanesque que l'on croyait à jamais réservé aux oeuvres du genre telles qu'elles étaient envisagées dans les années 90.

Soit le plaisir intense d'un film populaire à son apogée.

Behind_the_Mask, un mariage et quelques enterrements.