Kuolleet lehdet creuse son pessimisme comme des prisonniers soulèvent la dalle de leur cellule, grattent la terre, explorent le sol en quête d’une sortie extérieure d’où jaillirait la lumière. Jamais un film d’Aki Kaurismäki n’a été aussi parodique de lui-même, sans que cette parodie ne tourne à la pochade ; le cinéaste réunit ses clichés pour les transcender en une fable mélodramatique sur la résistance passive de deux êtres pris dans la détresse d’un quotidien décevant qui paraît coupé du temps : regarder vers le passé c’est se sentir plus encore orphelin, regarder vers l’avenir c’est imaginer les guerres radiophoniques devenues réalité immédiate. Entre ces deux tremblements naissent de tout petits mouvements, imperceptibles en dépit des allées et venues des protagonistes à pied ou en tramway ; puisque la journée est rythmée par un travail dégradant et mécanique, il faut reconquérir la nuit comme temps et espace d’une seconde vie qui s’accomplit dans les déambulations et, surtout, au cinéma, dans les bars et les karaokés.
L’esthétique visuelle transcende alors la noirceur tonale : les jeux de lumière, les couleurs, la photographie magnifique, tout cela se heurte au désarroi ambiant et aux chansons tristes comme un oxymore. Ainsi redouble le malheur des personnages, individus fragilisés dont le seul espoir se trouve dans l’idée non d’un ailleurs (inatteignable) mais d’un ensemble (à construire par compromis) ; ils sont insérés dans une structure tragicomique au terme de laquelle ils marcheront ensemble tels deux rescapés, accompagnés d’une chienne sauvée in extremis de l’euthanasie. Un grand film modeste qui réchauffe le cœur par son humanité.