Les flics ne dorment pas la nuit profite du réalisme acerbe tout droit sorti d'un des livres de l'ex-flic devenu écrivain Joseph Waimbaugh. En transposant à l'écran ce qui en fait le sel, à savoir la vie de patrouilleurs de la brigade de Los Angeles, Richard Fleischer dépeint un portrait de flic qui prend aux tripes, marqué par une violence qui ne prévient pas. Mais c'est aussi l'occasion pour le cinéaste de creuser l'aspect humain de ce mythe urbain qu'est la ronde de nuit. A coup d'ambiances nocturnes joliment troussées, Fleischer nous fait profiter du shoot quotidien, que s'enfilent ces drogués de l'adrénaline, en traquant le truand.
Appelés pour diverses raison, parfois légères et amusantes, mais le plus souvent inquiétantes et dévastatrices, ces hommes, dont le travail est ingrat parce qu'il n'est reconnu réellement que par leurs pairs, semblent être condamnés à deux destins possibles : la civière ou la solitude. En cela, on pourra reprocher à Fleischer de broyer du noir à n'en plus finir, mais c'est aussi ce côté sans concession qui fait tout le piment du cinoche ricain des années 70. Brutal, sans état d'âme, à l'image de cette fin à l'impact fou parce qu'elle remet les pendules à l'heure de manière totalement inattendue, Les flics ne dorment pas la nuit est caractéristique de son époque.
Il est porté par une mise en scène qui sait se faire discrète pour laisser son sujet s'exprimer. En dehors de quelques séquences un peu plus personnelles, la révérence du maître par la poudre, la course poursuite en mode poupée de chiffon le bras pris dans la portière, ou la fusillade dans un tunnel qui s'éteint progressivement au fur et à mesure qu'un salopard éclate les suspensions lumineuses, Fleischer se contente de choisir le bon point de vue et de laisser faire ses acteurs. Il faut dire que lorsqu'on a dans ses leads le mythique George C. Scott, le choix semble évident ! Il forme avec Stacy Keach, qui ne démérite pas face à la légende, bien au contraire, un duo touchant emprunt d'un réalisme qu'on ne met pas en doute.
Passionnant parce qu'il se fait avant tout l'écho d'hommes qui ont le coeur envieux de s'exprimer, Les flics ne dorment pas la nuit abat ses cartes avec une efficacité redoutable avant d'asséner le coup de grâce au moyen d’un final typique de la fièvre agonisante des 70's. On pourra certes reprocher à Fleischer un laisser aller un peu cavalier pour l’ellipse temporelle ainsi qu'un choix discutable de ne pas étayer son propos à travers les différents personnages qu’il avait pourtant introduits — des trois rookies introduits, seul celui incarné par Keach sera développé—, mais l'impact rageur qui habite son film fait rapidement oublier ces petits soucis narratifs.
On peut alors remettre l'oeuvre en perspective, afin d'en tirer un constat sans appel : rares ont été les films de flics à s'intéresser de si près à ce premier rempart policier qu'est celui de la patrouille de rue. Et après visionnage de la proposition de Fleischer, on pense forcément aux multiples séries qui en ont découlé, qui y ont puisé chacune une inspiration certaine. The Wire, New York 911, Southland... empruntent forcément un petit bout de l'âme de cet uppercut à la tristesse absolue que signait Fleischer avec Les flics ne dorment pas la nuit. Une bobine désespérée dont on se rappelle, longtemps après la séance, l’ambiance funeste bercée par la partition hypnotique de Quincy Jones.
Pour les zimages, c'est par ici >