Fable intemporelle sur le pouvoir, All the King’s men propose une réflexion toujours très actuelle sur l’art de faire de la politique, dévoilant les ressorts pour atteindre les sommets et, derrière le personnage d’abord net puis corrompu de Willie Stark, démontrant l’incompatibilité de la morale avec la gouvernance.
En effet, celui-ci a beau être un hillbilly comme ses concitoyens (c’est-à- dire venir de la campagne, avoir un niveau socio-éducatif assez humble (qu’il comblera par des études de droit) et ne pas savoir bien s’exprimer en public ni haranguer les foules) avec comme valeurs le travail, la famille, la droiture et l’honnêteté, il a beau vouloir lorsqu’il se présente aux élections pour le poste de gouverneur, le bien pour ses semblables, avoir comme dessein leur bâtir un monde meilleur en leur offrant ce que l’État (capitaliste, même si ce n’est pas dit) ne leur a jusqu’alors pas offert (hôpitaux, écoles et universités, routes, …), il se rendra assez vite compte que pour y arriver, il faudra se salir, au sens moral – c’est-à-dire manipuler, mentir, corrompre, suborner, contrôler et même annihiler : bref, comme disait Machiavel « [le Prince] est souvent obligé , pour maintenir l'État, d'agir contre l'humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut [...] que tant qu'il le peut il ne s'écarte de la voie du bien, mais qu'au besoin il sache entrer dans celle du mal. »
Cependant, le discours ou plutôt la position de Rossen n’est pas très claire, et pas assez nuancée, au sujet de son protagoniste. Bien qu’il apparaisse comme un être jadis bon et pur, bénéficiant de l’estime du spectateur et de son empathie, il était alors assez inexpérimenté et sot, car trompé par les autres, et par conséquent impuissant ; or, lorsqu’il se frotte au pouvoir pour lequel il a dû en quelque sorte vendre son âme au diable, il bascule radicalement du côté du mal, sans qu’aucune atténuation ne soit apportée par Rossen, et ce même si Stark tient au fond ses promesses, certes non pas dans la forme, mais dans le fond. En fait, la question est selon nous mal posée et devrait plus interroger la compatibilité entre pouvoir et morale que traiter de l’inévitable corruption de l’homme détenant le pouvoir.
Quoiqu’il en soit, avec un scénario assez classique (ascension puis chute) et, comme nous l’avons dit, binaire voire manichéiste (le bien puis le mal), Rossen montre bien les rouages de la politique, du simple candidat local aux plus hautes sphères de l’État. Les hommes de l’ombre, conseillers du roi comme veut le dire le titre original, demeurent au fond assez secondaires et peu importants dans les décisions prises par le gouverneur. Par ailleurs, leur rôle trop limité ne leur permet pas vraiment de se mettre en valeur (à l’exception peut-être de Sadie Burke, la plus convaincante de tous, dans son rôle de conseillère, femme activiste ne craignant guère les hommes, femme aimante aussi, et à qui sera décerné l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle) et dans le cas d’Anne Stanton, vraiment pas cohérent, si ce n’est dans sa beauté irradiante. Soulignons aussi à certains endroits la belle photographie de Burnett Guffey.
Une réflexion courageuse pour l’époque, récompensée par l’Oscar du meilleur film, livrée par un Robert Rossen qui peu après ce film, sera (et ce n’est pas une coïncidence) l’une des victimes du maccarthysme.