Pour la première fois de sa carrière Jacques Audiard signe un film dans la langue de Shakespeare, et il met les petits plats dans les grands car il s'entourent pour l'occasion d'un casting 4 étoiles. Adaptant le roman éponyme de Patrick deWitt, il se lance dans le western un genre de plus en plus rare au cinéma mais qui arrive encore à offrir de beaux sursauts depuis déjà quelques années. The Sisters Brothers s'impose dans cette lignée d'oeuvre forte qui est à la fois un bel hommage à un genre fondateur du cinéma mais aussi une oeuvre bien plus moderne et miroir de notre époque. Ce qui permet à Audiard de re-tutoyer les sommets de son cinéma.
Le récit s'avère de prime abord relativement classique, suivant les péripéties de deux hors-la-loi, qui sont aussi frères, et qui devront traverser les Etats-Unis pour retrouver un cible qu'ils sont censé assassiner. Ici le duo est inversé là où le jeune frère s'avère être la tête brûlée imprévisible qui reste bloqué dans un passé qui commence doucement à disparaître tandis que c'est l’aîné qui s'avère être le plus sensible et curieux des progrès en train d'émerger. La dynamique habituelle des relations fraternelles se voient donc chamboulée mais permet aussi de faire un parallèle intéressant sur la place de l'Amérique en elle-même, chaque personnage étant symboliquement un aspect d'un pays en pleine mutation. De plus, malgré un passif familial assez attendu, le film arrive à prendre au dépourvu dans l'évolution de son intrigue notamment dans un second acte qui joue avec les attentes et nous plonge dans un déroulé plus pacifique et posé que prévu. L'ensemble se transforme alors en une belle réflexion sur l'amitié, l'acceptation et le progrès quand le dialogue surplomb la violence. L'aîné s'affirme, reprenant sa place, là où le cadet devient obsolète.
De cette envie de déjouer les attentes, le film brille aussi par sa conclusion anti-climatique, mélancolique et profondément touchante. Même si il passe par quelques accroches avant d'y parvenir. Audiard à dû mal à jongler avec ses sous-intrigues et les affiches de manière trop évidente pour rallonger le récit comme lorsque les deux frères font une halte dans un saloon en milieu de film. De plus cela se répercute aussi dans le dernier acte qui a une fâcheuse tendance à tirer en longueur. Mais ce qui déçoit le plus c'est la sous-exploitation du deuxième duo qui pourtant s'avère très émouvant. Une histoire d'amitié, au confins de la romance implicite, et qui s'impose par de beaux dialogues et de belles performances, Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed partagent une superbe alchimie et livre de touchantes prestations même si trop laissées en retrait. Néanmoins leurs interactions avec les deux frères s'avèrent bien plus subtiles que prévu et la conclusion de cette intrigue marque par sa puissance. De plus, le tout est tenu par l'excellent duo formé par Joaquin Phoenix et John C. Reilly. Même si Phoenix reste égal à lui-même, à savoir parfait en toute circonstance, il reste limité par l'aspect plus caricatural de son personnage. Par contre John C. Reilly s'impose comme une vraie révélation et un grand acteur dramatique. Parfois candide, grave ou même impitoyable, il livre une performance subtile qui déborde d'humanité. Du grand art.
L'autre star du film, c'est aussi Benoît Debie, le chef opérateur qui livre une somptueuse photographie. Assez éloigné de ses travaux les plus stylisées, il compose une photographie plus naturaliste et brillante qui offre des cadrages et des plans magnifiques, notamment les fusillades qui possède une authenticité et un impact vraiment saisissants En ça, le premier plan du film est mémorable. Un plan fixe dans le noir absolument et éclairé uniquement à la lumière des coups de feu. Un bijou. Tout comme le dernier acte qui offre des moments visuellement assez réjouissants. Le tout est encadré par une musique inspirée de Alexandre Desplat, décidément très en forme cette année, et une mise en scène élégante de Jacques Audiard. Il reste relativement classique sur la forme mais montre un savoir-faire et une efficacité inébranlable que ce soit dans les moments plus tendus que les scènes plus contemplatives. The Sisters Brothers est un film sublime qui trouve souvent le moyen de marquer la rétine.
The Sisters Brothers est un très bon western. Aussi classique que moderne, il arrive à injecter intelligemment de la nouveauté dans un genre qu'on pourrait pourtant croire épuré. Il souffre quand même de longueurs mal gérées ou de développements un peu trop anecdotiques mais joue habilement des attentes et peut compter sur un casting magistral, notamment la révélation dramatique qu'est John C. Reilly. Le film est aussi sublime, que ce soit grâce à la photographie naturaliste et brillante de Benoît Debie ou la mise en scène impeccable de Jacques Audiard. The Sisters Brothers ne restera donc pas le représentant le plus mémorable de son genre ces dernières années, on lui préférera Hostiles ou The Hateful Eight, mais il n'a clairement pas à rougir de sa position.