Lorsqu'un réalisateur - de surcroit européen - se lance pour la première fois dans un western en expliquant à gauche ou à droite ne jamais s'y être intéressé de près, on est tenté de vérifier à quel point le résultat s'éloigne -ou pas - du cahier des charges.
Deux westerns me sont venus à l'esprit pendant le visionnage des Frères Sisters. Le premier c'est The Searchers ( La Prisonnière du désert), film de référence, véritable mètre-étalon en la matière : paysages grandioses, cow-boys solitaires et vicissitudes du grand Ouest. Le film de John Ford compose avec la plupart des codes du western, codes que reprend en partie le réalisateur français. S'il n'y a point de Cheyennes, ni de nièce enlevée dans le film d'Audiard on retrouve en revanche le principe du "piste movie" (variante du road movie mais dans les prairies indiennes) à travers l’Oregon (en fait l'Aragon) et deux cavaliers prêts à en découdre pour arriver à leurs fins : comme Ethan et Martin dans le film de Ford, Elie et Charlie passent leur vie à chercher. Un contrat à exécuter, puis la richesse (c'est l'époque de la Ruée vers l'or) et enfin leur liberté. Mais à la différence de beaucoup de westerns où les compagnons de route ne se connaissent pas, les deux frères Sisters eux se connaissent parfaitement et même trop. Chaque péripétie n'est pas l'occasion pour eux de se révéler, de se surprendre mais au contraire de faire platement le job et constater - comme dans un vieux couple - à quel point l'autre est devenu prévisible.
Le film pose ainsi un certain nombre de questions : jusqu'à quel point les personnages sont-ils prisonniers des stéréotypes qui les caractérisent ? Et peuvent-ils s'en affranchir ? Charlie de sa violence atavique, Elie de sa bonhommie teintée de sentimentalisme. C'est un des enjeux du film, interroger la nature des personnages du western, de leur perméabilité à d'autres typologies. Tel est aussi le rôle de l'autre "couple" masculin du film dont l'amitié se construit davantage sur le raffinement de l'esprit que sur des actes de bravoure. Par le biais de son quatuor d'aventuriers, Audiard creuse le filon de la figure masculine, de cette virilité de façade qui prévaut traditionnellement dans les westerns.
Le film reprend la plupart des ingrédients du genre : cavalcades dans les paysages désertiques, feux de camp, bastons, scènes de saloon...etc - mais sans jamais s'y appesantir. Au contraire, du rythme - à la faveur de micro ellipses temporelles - et une partition musicale inspirée qui donne un tempo parfait au récit. Et tout en suivant la gamme du western classique, Audiard s'autorise ici ou là des écarts inattendus. Ainsi de l'échange d'Emie avec la prostituée ou de la scène de duel final volontairement passée à la trappe. Pas étonnant dès lors d'entendre Charlie se désoler "de ce que tout a changé..."
C'est là que m'est venu en tête le deuxième film : Ride the high Country (Coups de feu dans la Sierra) de Sam Peckinpah, qui fait le récit de deux cow-boys fatigués, en proie à un monde qui fout le camp, à des villes grandissantes dont ils se sentent de plus en plus étrangers et à des gangsters sans foi ni loi qui ne respectent plus la moindre valeur.
A la différence près que chez Peckinpah, Randolph Scott et Joël McCrea se brûlent une dernière fois dans un assaut suicidaire à la OK Corral, là où les deux frangins d'Audiard séduits par les vertus de la modernité, de la pâte à dentifrice et de la chasse d'eau, décident de retourner prudemment dans le giron maternel.
Là encore, ressemblances/différences : le dernier plan de The Searchers voyait Ethan sortir du cadre de la maison pour s'éloigner au loin, là où Elie et Charlie franchissent le seuil du ranch familial pour rejoindre - dans un subtil mouvement de caméra - leurs lits douillets.
Un western très intéressant.


Personnages/interprétation : 8/10
Histoire/scénario : 8/10
Réalisation/mise en scène : 9/10 (musique ++)


8.5/10
<3

Theloma
8
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le 2 oct. 2018

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Theloma

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