Audiard n'a peur de rien, on le savait déjà. Se lancer sur la piste des Géants, dans un genre cinématographique qui compte autant de chefs d’œuvre que de nanars ,et ce en Amérique, pour un Frenchie, c'est gonflé ! pari tenu et réussi. Comme à son habitude, il s'empare des codes du genre pour les retourner autant que pour les exalter. Son rapport au style est respectueux et irrévérencieux à la fois. L'Ouest du siècle dernier est bien là, avec sa boue, sa poussière, ses chevaux et ses saloons enfumés et mal éclairés. Ses héros sont fatigués et mal rasés, ils puent, gueulent, prennent des cuites et ont la tête près du Stetson. Les frères Sisters sont des tueurs à gage, célèbres dans leur genre quoi que peu glorieux, liés par une tendresse rude qui prend racine dans l'histoire familiale, le père fou, alcoolique a été tué par le cadet..
Missionnés pour retrouver un chimiste qui détiendrait une formule magique pour mettre l'or en évidence dans les rivières, ils traquent sans états d’âme ce garçon qu'ils ne connaissent pas..Or, ce dernier a déjà été pisté par un détective qui est censé leur passer le relai..A eux de "finir par tous les moyens" d'extorquer le secret du chimiste. On pourrait se croire dans "Tintin chez les chercheurs d'or"..mais non, c'est sérieux et crédible..Avec Audiard, on est toujours sur la crete de la vague, au risque de sombrer dans le ridicule, le melo, le gore, le too-much et ..pourtant à toujours rester dans cet équilibre fragile et vertigineux qui fait les grands cinéastes. Toutes les figures du genre y sont: les bagarres, les chevauchées, les bordels, les feux de camps et les assiettes de fayots. Tout, plus un décalage et une vérité humaine qui font penser aux frères Cohen. Ses frères sisters sont de braves brutes, l'ainé est un gros nounours sentimental qui découvre les bienfaits de la brosse à dents ! Le cadet, une tête brulée exubérante et immature. La poursuite des deux premiers par les deux frères (figure classique du western) bascule brusquement en quelquechose de plus profond lorsque le détective se laisse séduire par le projet humaniste du chimiste qui veut construire un phalanstère à Dallas pour y faire s’épanouir une société plus juste. La Course sans raison devient la traque de gens porteurs d'un ideal par de pauvres abrutis avides d'argent facile. Et Alors que le quatuor est réuni, que les dés semblent jetés, nouveau retournement, nouvelle alliance improbable devant d'autres tueurs !! Farfelu, dingue, invraisemblable, et pourtant...ça marche ! On croit à ces quatre mousquetaires qui s’émerveillent comme des gosses devant la rivière ou scintillent les pépites rendues fluorescentes par la potion magique du jeune chimiste . On pourrait se croire chez Disney, on est seulement devant des hommes qui rêvent. Reve de courte durée puisque l'or, ou plus exactement le produit chimique qui le met en évidence leur rongera la peau jusqu'à l'os et ils y perdront soit un bras, soit la vie. Fascination d'Audiard pour les amputations sans anesthésie et les peaux brulées au troisième degré. Ce mélange de tons peut agacer ou séduire. Il en ressort une œuvre prolifique, à plusieurs niveaux de lecture. Une peinture d'un Monde violent et patriarcal ou les seules figures féminines sont des prostituées et une tenancière d'hotel hommasse ainsi que la mère dans le giron de laquelle retournent les frères cassés,mère plus proche de Ma Dalton que de Mamie Nova. Pour ma part, grande amatrice des Westerns de Ford et Walsh j'ai regretté l'absence de grands ciels et de grands espaces qui accentue l'ambiance pesante et oppressante., mais c'est totalement cohérent avec le regard dépourvu de romanesque que porte Audiard sur l'Ouest Americain. Pied de nez d'humour noir final : le Commodore, ultime figure paternelle que l'ainé s’apprêtait à abattre s'avère être déjà dans son cercueil sous les velours noirs et les fleurs, mort de sa belle mort.