Film assez emblématique d'un genre pseudo-documentaire très en vogue dans l'Amérique latine des années 70. Sous des airs de documentaire-choc, mais des airs seulement puisque la mise en scène est assez prégnante, le réalisateur et sa caméra tremblante suivent les déambulations d'un groupe de gamins des rues de Bogota, que l'on montre en train de mendier, de chaparder, de ramasser des cartons et de dormir à même la rue. Du côté de la réalisation on sent une direction trop présente et certaines scènes un peu forcées, comme celle où Duran filme une voiture stationnée, zoome sur ses essuie-glaces avant que deux gamins entrent dans le champ et volent lesdits essuie-glaces, qu'ils revendront à un autre automobiliste un peu plus loin. Le fait de filmer de l'autre côté de la rue, en voulant forcer le côté caméra discrète voire cachée, prend des airs de faux et de mise en scène, en plus d'être horrible à suivre à cause des véhicules qui coupent l'image chaque seconde et du vacarme de la rue non filtré. Pour le côté immersif peut-être, et souligner l'horreur de ces conditions de vie ? Duran a sûrement voulu choquer le bourgeois européen des années 70 avec ce style "choc" mais c'est beaucoup trop superficiel pour être sincère. Aujourd'hui on appellerait ça du buzz et du voyeurisme.
Côté réflexion il n'y a pas grand chose à retenir. Une voix-off de temps en temps vient compléter l'image et donner la parole aux indigents. Duran dessine ensuite un avenir à ces gosses, à travers une séquence dans un centre de détention où l'on devine que vont finir les garçons et dans une zone de prostitution, puisque c'est là qu'échoueront immanquablement les filles. En tout cas c'est le message qui ressort à grands coups d'ellipses. S'en suit un dialogue avec quelques parents qui rejettent la faute sur la société colombienne et son conflit interne (La Violencia), comme s'ils n'avaient aucune responsabilité dans le sort de ces gamins qu'ils ont abandonnés. Le film conclue en apothéose sur les images d'une grosse manifestation, drapeaux rouges, poings levés, au chant des révolutionnaires cubains... Je n'ai pas compris le message final qu'avait voulu véhiculer Duran. Est-ce que l'Internationale doit sauver les gamins ? La misère est-elle la faute du Kapital ? Cette conclusion marxiste me conforte dans l'idée d'un film racoleur pour la gauche européenne des années post-68.
A noter que ce genre racoleur a été rapidement dénoncé par les sud-américains eux-mêmes, qui le nommeront pornomiseria et en feront un sous-genre du cinéma notamment colombien. On appréciera par exemple le satirique Agarrando Pueblo (Les Vampires de la pauvreté). Il faut souligner également que Les Gamins de Bogota est co-produit par l'INA français, et peut parfois prendre des allures similaires aux documentaires et entrevues proposés par la télévision française de la même période. Je mets malgré tous ces reproches au film de Duran 4 étoiles pour le pan documentaire sur la capitale colombienne des années 70 qui ressort à travers certains plans, avec tout le recul nécessaire pour appréhender son film.