Si l’on a souvent assimilé William Friedkin à un cinéma de genre plus ou moins précis (French Connection, L’Exorciste, Le Convoi de la Peur…) le réalisateur-diva aura tout de même été très protéiforme tout au long de sa carrière, notamment dans ses premiers films précédant son succès aux Oscars. De multiples influences marquent ses débuts, guidés par la liberté cinématographique qui caractérise la deuxième moitié des années 60 et les années 70 dans le cinéma américain, ce que communément nous appelons désormais le Nouvel Hollywood.
Adapté de la pièce de Mart Crowley, le film Les Garçons de la bande de William Friedkin décrit la soirée d’une bande d’amis homosexuels New Yorkais réunis à l’occasion d’un anniversaire, la majeure partie du film étant un huis-clos. D’ores et déjà, on reconnait la trace de Friedkin dans le choix du sujet, faisant des Garçons de la Bande un des premiers films américains à évoquer ouvertement cette question, jusqu’alors évoquée en sous-texte, notamment dans un autre huis-clos, La Corde d’Alfred Hitchcock. A noter qu’une dizaine d’années plus tard, Friedkin ira d’autant plus loin dans La Chasse.
Dès les premiers plans des Garçons de la Bande, on comprend que l’on a affaire à un auteur profondément influencé par la Nouvelle Vague française, par le style de réalisation et de montage en cuts de Jean-Luc Godard ou de François Truffaut. C’est un cinéma jeune et dynamique qui se concentre avant tout sur ses personnages. La virtuosité de William Friedkin se ressent déjà dans ces plans en caméra épaule qui parcourent librement le décor. Comme bien des films de son auteur, on sent toutefois que le hasard est totalement exclu du découpage : derrière cette liberté apparente, Friedkin contrôle tout.
Son rapport à l’adaptation ne manque pas d’évoquer directement ses derniers films, adaptés des pièces de Tracy Letts, Bug et Killer Joe. Ici, il fait s’affronter des personnages aux rapports de force changeants qui finissent par faire dramatiquement évoluer l’atmosphère, de la petite comédie intellectuelle au règlement de comptes en bonne et due forme. Néanmoins, Friedkin n’oublie jamais ce matériau de base et laisse deviner d’où provient son histoire : c’est là toute l’intelligence dans son rapport à l’adaptation, cependant très cinématographique. On ne manque pas non plus de penser au rapport qu’entretient, dans le même genre, Roman Polanski à l’adaptation notamment dans La Jeune Fille et la Mort ou même plus récemment dans Carnage.
Les fameux rapports de force changeants font se dresser et s’effondrer les personnages, confrontés finalement à des peurs ou des questionnements qui hantent la jeunesse des années 60/70 que l’on a souvent considérée comme dépravée. Chaque personnage représente un faciès différent de l’homosexualité, de la grande folle à l’artiste un peu hautain, en passant par le noir trendy. L’élément déclencheur des passions de la pièce et du film se voit être une connaissance (hétérosexuelle, en revanche) qui s’incruste furtivement dans la soirée. On est finalement totalement pris dans ce tourbillon de sentiments contradictoires (à l’image de Friedkin) que les protagonistes se jettent à la tête, transformant ainsi ce huis-clos en véritable cocotte-minute. Le paroxysme lors d’une séquence où ils doivent chacun appeler au téléphone un amour passé et lui déclarer leur flamme. Fascinant et malsain, comme à l’accoutumée chez Billy Friedkin. Dans le dernier tiers, on pourrait toujours regretter que le rythme soit moins maitrisé, le dénouement se fait éventuellement trop attendre.
La force des personnages est portée par des acteurs remarquables (les mêmes que la pièce, par ailleurs) qu’on sent poussés à bouts par le metteur en scène. Aucun n’est en retrait, tous affirment leur intérêt au sein du récit. La vie précédant le malaise partagé par ces joyeux lurons transcende ainsi d’autant plus le spectateur. Mention spéciale à Leonard Frey en Harold, dont c’est l’anniversaire, de ont la détresse ressentie dans l’inacceptation de lui-même se manifeste dans une multitude de sentiments exprimés à l’égard de ses amis.
Il aurait été aisé de croire que la carrière préfigurant French Connection chez William Friedkin ne comportait que des films mineurs. Les Garçons de la Bande prouve néanmoins qu’il s’est affirmé en tant qu’auteur plus tôt et complète la compréhension du réalisateur tel que nous le connaissons. Une petite perle des années 70 qu’il est bon de découvrir, donc.
La critique sur Cineheroes : http://www.cineheroes.net/retro-william-friedkin-les-garcons-de-la-bande-1970
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