Autour de Susan Sontag "Intellectuelle célébrée, réalisatrice oubliée"


Autour de Susan Sontag "Intellectuelle célébrée, réalisatrice oubliée"



https://www.sorocine.com/revue/susan-sontag-fiff-2022/


de Esther Brejon:


"Intellectuelle célébrée, réalisatrice oubliée


Après Nicole Stéphane l’année dernière et Mai Zetterling en 2018, c’est au tour Susan Sontag d’être célébrée par le Festival de Films de Femmes de Créteil. Car l’essayiste et intellectuelle américaine (1933-2004), connue pour ses essais Notes sur le Camp et Sur la photographie, fut aussi cinéaste, à la tête d’une œuvre succincte mais non dénuée d’intérêt. Pas étonnant quand on connaît l’aspect touche-à-tout de cette figure de l’intelligentsia new-yorkaise, qui écrit sur la guerre, la mémoire, le cancer, le “camp”, les films de science-fiction ou la photographie. Ses écrits furent aussi consacrés au cinéma, aux films et aux cinéastes qu’elle admirait, comme Godard, Bresson, Fassbinder, Resnais. Dans les années 50-60, pas un jour ne passe sans qu’elle voie un film, parfois jusqu’à quatre séances par jour, toutes notées dans son Journal. C’est là qu’elle écrit : « C’est notre visite hebdomadaire au cinéma qui nous a appris (ou permis de tenter d’apprendre) comment nous pavaner, comment fumer, embrasser, comment nous battre ou pleurer ». Grâce au Festival et au travail d’anthropologue de Jackie Buet, nous avons pu découvrir ses films, pour la plupart invisibles.


Son premier film Duo pour cannibales est une curiosité captivante, tournée en suédois en 1969, après la rencontre de Susan Sontag avec le producteur Göran Lindgren. Celui-ci, admiratif de son travail, lui propose de produire son film, en lui donnant carte blanche. Rassemblant Adriana Asti (Prima della rivoluzione), Lars Ekborg (l’acteur de Monika), Gösta Ekman et Agneta Ekmanner, le film raconte l’histoire de Tomas, assistant se mettant au service d’Artur Bauer, exilé politique et intellectuel de gauche, et sa femme Francesca. Tomas et sa compagne vont tomber dans une emprise psychologique et sexuelle, totalement dépendants de ce couple étrange, séducteur et machiavélique. Considéré par Sontag comme un « film politique sur la psychologie du fascisme », Duo pour cannibales est un premier pas réussi dans le cinéma pour Susan Sontag, évoquant autant les contradictions de ce militant d’extrême-gauche que Susan Sontag elle-même, qui se considérait comme un vampire, « se nourrissant de la sagesse, de l’érudition, des talents, de la grâce des êtres ».


Après Les Gémeaux réalisé deux ans plus tard, Susan Sontag s’envole pour Israël pendant la guerre du Kippour (1973). Engagée politiquement, elle s’était déjà rendue au Vietnam en 1968, à Cuba en 1970, et montera En attendant Godot à Sarajevo en 1993. Dans La Déchirure (Promised Lands), son premier documentaire, Sontag filme les rues de Jérusalem, ses habitants, ses marchés, ses prières, le Mur des Lamentations, mais aussi les déserts, les chars, les soldats, les cadavres brûlés, les enterrements. La bande-son est composée de sons de cloches, chants traditionnels, d’extraits d’émissions de radio et des voix de deux intellectuels israéliens, exprimant leur opinion sur la situation politique. Leurs propos sont sans cesse illustrés ou mis en contradiction par les images captées par la caméra de la cinéaste. En faisant se répondre sons et images, Sontag prouve sa maîtrise du médium. Dans ce film qui sera interdit en Israël, elle offre des images rares et passionnantes sur la guerre et ses répercussions sur les soldats blessés (la dernière scène sur le traitement d’un soldat souffrant de stress post-traumatique est terrible) et les familles de soldats tués. S’ensuivra le très expérimental Lettres de Venise (1983), produit pour la télévision italienne, avec sa compagne, la chorégraphe Lucinda Childs. Entouré de statues de lions rugissant et grimaçant, menacé par la montée des eaux, un couple se sépare dans une Venise grise, pluvieuse et sale. Composé de plans fixes sur des foules de pigeons, devantures d’agences de voyages ou stands de souvenirs, le film va à contre-courant des images de cartes postales et raconte le tourisme grandissant affectant la Sérénissime. Enfin, A Primer for Pina (1984), moyen-métrage réalisé pour la télévision, est un hommage rendu par Susan Sontag à Pina Bausch, dans lequel l’essayiste s’exprime face caméra sur le travail de la chorégraphe allemande, illustré par des extraits de ses pièces.


Pour compléter ces découvertes, le documentaire Regarding Susan Sontag, réalisé par Nancy Kates en 2014, offre un portrait non exhaustif mais non moins passionnant de l’intellectuelle féministe, à travers son enfance marquée par la précocité, ses essais marquants, ses voyages, ses liaisons, ses prises de position. L’oeuvre de celle qui sut si bien analyser l’évolution de nos sociétés, de la représentation du désastre au cinéma aux dangers liés à la profusion d’images, est toujours autant d’actualité.


Duo pour cannibales et Les Gémeaux sont à voir les 16 et 17 mars 2022 sur le site https://www.festivalscope.com/


"


Merci à Rei Ayanami


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Quelques liens :


https://www.quinzaine-realisateurs.com/fr/film/les-gemeaux-broder-carl-brother-carl


http://www.filmdeculte.com/cinema/film/Gemeaux-1351.html


Une page de Hal (La connaissance libre et partagée) : sujet "L’adversarialité silencieuse : politique visuelle, corporelle et sonore du silence dans le cinéma de Susan Sontag " sur : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03543319/


Et une page intitulée "L'adversarialité silencieuse : politique visuelle, corporelle et sonore du silence dans le cinéma de Susan Sontag" sur https://fairesilence.sciencesconf.org/271783


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Un petit bout d'article du Monde de 1973 : https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/01/27/brother-carl-les-gemeaux_2556040_1819218.html


" BROTHER CARL " (" les Gémeaux ")


Par JACQUES SICLIER.
Publié le 27 janvier 1973 à 00h00 - Mis à jour le 27 janvier 1973 à 00h00


Née à New-York, russo-polonaise d'origine, romancière et cinéaste, elle a tourné ses deux premiers films en Suède. Va-t-on découvrir Susan Sontag ?


Duo pour cannibales, sorti au mois de novembre, est passé inaperçu, ou presque. Qu'en sera-t-il de Brother Carl ? Ces deux films, réalisés à trois ans de distance (1968-1971), ne vont pas l'un sans l'autre. A cause de la Suède, d'un certain style de photographie, des relations difficiles, tourmentées, entre hommes et femmes, et aussi des acteurs (ici Gunnel Lindblom) : ils font penser à Ingmar Bergman. Mais l'univers de Susan Sontag n'est pas celui des grands problèmes, des grandes questions métaphysiques à la Bergman. C'est un univers d'obsessions discrètement suggérées, de situations gênantes et imprécises dont on a envie de percer les secrets, un peu comme s'il s'agissait d'histoires fantastiques.


Dans Duo pour cannibales, quatre personnages, deux couples, se dévoraient psychologiquement, et l'on devinait entre eux des attractions, des sentiments inavoués. Brother Carl est un film bien plus étrange, au point de départ relativement simple, Karen, mariée à un avocat, quitte son foyer parce qu'elle ne peut supporter que sa petite fille, Anna (quatre ans), soit muette. Elle accompagne son amie Lena dans une île où celle-ci va retrouver Martin, son mari dont elle est séparée depuis cinq ans. Lena veut reconquérir Martin. Mais il y a, entre eux, un jeune homme, Carl, danseur étoile, autrefois formé par Martin, qui est devenu fou, qui reste parfois volontairement muet. Devant ces deux hommes, les deux femmes sont à la fois complices et ennemies. Comme tout se passe à la limite du conscient et de l'inconscient, on ne peut rien expliquer, même si l'on pense que les obsessions de Susan Sontag sont en rapport avec la lutte des sexes. Et si les êtres se déchirent, se dévorent, eux aussi en cannibales, le thème du transfert de la vie à travers Martin, le " fou sacré " donne au film une fin surprenante.


Hermétisme, jeux intellectuels, oui, peut-être, et il faut être dans un certain état d'esprit pour accepter d'être constamment dérouté. Mais Susan Sontag sait faire " parler " les images et vivre les acteurs avec une sensibilité qui contredit cet intellectualisme. D'où la scène où Gunnel Lindblom (Lena) veut révéler - pour des raisons qui n'appartiennent qu'à elle - l'amour physique de la femme à Carl (Laurent Terzieff), qui a peur, scène à mi-chemin entre la séduction et le viol, scène admirable.


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Le synopsis de Première


"Jeremias et Meme sont frère et soeur, ils entretiennent une liaison sexuelle passionnée. Quand leur frère Ezequiel rentre d'Espagne, il veut faire éclater ce secret. Cette révélation détruira-t-elle la famille à jamais ?"


https://www.premiere.fr/film/Gemeaux


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Une page web de France culture avec un podcast :


https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/susan-sontag-essayiste-et-romanciere-americaine-1933-2004


"Autant européenne qu’américaine, Susan Sontag était une intellectuelle engagée, déterminée, dont les essais ont fait sa notoriété. Pionnière des théories queer, elle écrira toute sa vie entre tension et émancipation, en s’affranchissant des frontières entre les genres, le corps et l'intellect.


Américaine élevée en Arizona puis new-yorkaise d'adoption, Susan Sontag était une intellectuelle engagée, au sens où nous l'entendons de ce côté-ci de l'Atlantique. Quoique ... Son énergie, l'idée qu'elle avait qu'une vie, ça se pétrit, se construit sans relâche et avec ardeur pour y apporter corrections et améliorations, tout cela faisait bien d'elle une Américaine. Ce sont ses essais plus que ses romans qui ont fait la notoriété de Susan Sontag.


Entrée à l'université à 15 ans, avec trois ans d'avance, cette travailleuse acharnée, obsédée par le travail et les livres, a tout fait très vite. Elle se découvre homosexuelle à 15 ans mais se marie deux ans plus tard, a un fils dans la foulée, et à 30 ans, installée à New York et divorcée, elle se fait connaître en pleine contre-culture avec ses Notes on camp, un manifeste esthétique au style vif qui définit le bon et le mauvais goût, la mode et le démodé. La belle Susan Sontag est dite faiseuse de goût. On est dans les années 1970 et elle est une intellectuelle pop. Elle écrit une préface à l'édition américaine de L'Histoire de l’œil de Georges Bataille, vante Jean-Luc Godard, Claude Lévi-Strauss et Roland Barthes aux Américains, dénonce la guerre contre le Vietnam, analyse le pouvoir de la photographie et des images, recense les livres qu'elle aime et s'inspire de ses deux cancers pour étudier et dénoncer l'imaginaire lié à cette maladie.


A 16 ans, on voit grâce à son journal, que Susan Sontag est déjà faite.


Toute sa vie elle s’est battue contre le renoncement. Susan Sontag, c’est la femme


qui ne renonce.


C’est plus qu’une morale ou une philosophie, c’est une leçon.


Dans ce journal, on retrouve la jeune fille qu’elle n’a jamais cessé d’être,


qui est tout le temps dans l’introspection, intelligence et lucidité


effrayante sur elle-même. Et qui n’hésite pas à dire les choses sans passer par le filtre


de l’inhibition. Elle n’écrit pas pour la postérité, elle écrit pour elle.


On est dans le vif de la vie, et le vif du sujet. Pierre Assouline


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Les Nuits de France Culture
Susan Sontag : "Par la lecture, j'ai su à l'âge de sept ans que je deviendrai écrivain"


Sa vie et l'actualité nourrissent constamment son oeuvre, et ce jusqu'aux années 2000. Compagne à la fin de sa vie de la photographe Annie Leibovitz, Susan Sontag est atteinte d'un troisième cancer qui l'emporte en 2004. Après sa mort, son fils unique, David Rieff, prend la décision de publier son journal intime et ses carnets. A 16 ans, en 1949, elle écrivait :


Je sais ce que je veux faire de ma vie : je veux coucher avec beaucoup 

de gens


je veux vivre et je hais l'idée de mourir - je n'enseignerai pas, je n'ai pas l'intention de laisser mon


intellect me dominer, et la dernière chose que je veuille faire est de vénérer le savoir ou les gens


qui ont le savoir. J'ai l'intention de tout tenter ... j'anticiperai le plaisir partout et je le trouverai ...


je vais m'impliquer totalement, tout a de l'importance. La seule chose à laquelle je renonce est le


pouvoir de renoncer, de battre en retraite : l'acceptation du semblable et de l'intellect. Je suis


vivante, je suis belle, que demander d'autre ?


Remarquable détermination chez une si jeune fille qui en effet, a toujours bataillé pour que son corps et son intellect fassent bon ménage.
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Susan Sontag raconte ses origines, son enfance et sa famille dans l'émission L'invité du lundi, le 10 juillet 1978 sur France Culture
Pour aller plus loin


Toute l'oeuvre de Susan Sontag est éditée par Christian Bourgois éditeur.


Site officiel de la Fondation Susan Sontag


Long entretien filmé avec Susan Sontag en ligne sur la chaîne YouTube, The Film Archives.


A l’occasion du New York Film Festival, en 1969, Newsweek a interviewé Agnès Varda & Susan Sontag à propos de leurs films respectifs, Lion’s Love & Duet for Cannibals, présentés au festival, à voir sur le site Artforum.


Promised Land, film documentaire de Susan Sontag disponible sur YouTube, tourné en Israël pendant la guerre du Kippour, en 1974.


Susan Sontag, le sida et l'image absente : article de Stéphane Inkel publié dans le dossier «Écriture et sida» de la revue Postures, 1999


Avec : Dominique Bourgois, éditrice ; François Cusset, historien des idées, Professeur d'études


américaines à l'université Paris X ; Pierre Assouline, romancier ; Isabelle Huppert, actrice et la voix de


Susan Sontag.
Un documentaire de Virginie Bloch-Lainé, réalisé par Clotilde Pivin. Archive INA : Christelle Rousseau.


Une rediffusion du 7 novembre 2010.


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18 mars 2022

Jean-2022
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le 18 mars 2022

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