Les trois suisses
Décalé, subtil, attachant... "Les grandes ondes" est une petite production franco-suisse très originale, plutôt drôle et bien interprétée. Alors pourquoi ma note ne décolle-t-elle pas? A cause d'un...
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le 27 mai 2015
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Film suisse sorti en 2013 qui s’inscrit parfaitement dans la tradition du cinéma helvétique, Les Grandes Ondes avait tout les ingrédients pour être un bon film, en résulte un petit film sympa mais oubliable.
Suite à un redressement d’un conseiller fédéral, la direction de la SSR se voit enjoint à produire des émissions moins clivantes et plus consensuelles. Ainsi, sont envoyés en pleine révolution des œillets trois journalistes suisses pour faire un reportage sur l’aide économique suisse au Portugal. Notre trio est composé d’une arriviste vaguement féministe, d’un vieux bourru vaguement amnésique, et d’un vieil ingé son vaguement mécanophile puisqu’il aime beaucoup son bus.
Commençons d’abord par aborder les points qui sont plutôt plaisants dans ce film. En premier lieu, le jeu d’acteur est assez bon, porté surtout par le charme des acteurs français Valérie Donzelli et Michel Vuillermoz dans les rôles respectifs de la journaliste vaguement féministe et du vieux bourru vaguement amnésique. Idem pour le suisse Patrick Lapp en ingé son vaguement mécanophile ; globalement la direction d’acteur est correcte, ils n’en font jamais des caisses et vendent plutôt bien leurs blagues.
Autre point sympathique, certains plans sont plutôt inspirés. Par exemple, lorsque la journaliste se retrouve face à un char qui lui pointe son gros canon en plein visage. Il y a un côté assez pictural qui m’a beaucoup fait pensé à ces dessins d’anar’ et de pacifiques avec cette jeune femme devant un tank avec ce symbole phallique. Autre plan sympa, lorsque le journaliste déambule dans les rues de Lisbonne en pleine révolution avec un éclairage nocturne ma foi plutôt joli et un canasson qui jaillit de nulle part, comme dans un rêve.
Enfin, les thèmes historiques du cinéma suisse se retrouve dans le métrage. On y voit donc cet Autre à travers un regard suisse (tradition que l’on peut faire remonter à Lindtberg), cet étranger est ici le portugais, et on a une petite boutade qui m’a fait marrer qui résume plutôt bien le lien douteux qu’entretien l’helvète avec ses compatriotes immigrés portugais ; un peuple sympathique mais quand même moins bien que la Suisse. On aura droit aussi, comme chaque film suisse qui se respecte, a quelques lignes sur la démocratie et comment que la Suisse c’est chouette. Sur le versant plus filmique, c’est surtout ce léger côté naturaliste qui ressort avec des tournages essentiellement en décors réels et une volonté du réal de retranscrire fidèlement les années 70.
Maintenant que les points positifs sont évoqués on peu dézingué le film allégrement et à contre-cœur. Si les acteurs s’en sortent, l’aspect comédie est assez désastreux. Certaines blagues sont effectivement drôles, mais la plupart font l'effet de coups d’épées dans l’eau. Deux exemples pour illustrer le propos ; cette scène où l’ingé son tombe sur un type dans une sorte d’égout qui nettoie son œil de verre avant de le remettre en place. La blague était évidemment ce personnage cyclopéen et le petit cri de terreur de l’ingé son. Rien de plus. De base ce n’est guère drôle, mais c’est surtout très mal amené. Second exemple de scène à rallonge qui ne servent à rien ; toutes les scènes avec le directeur de la SSR qui galère avec la technologie. Ni drôle, coupure inutile dans le récit, et pour ne servir aucun propos. Des scènes de ce genre, il y en a plein. On dirait des petits sketchs qui n’apportent ni drôlerie ni réflexion et, pire, ni véritable satisfaction esthétique. Et ça désamorce le plaisir de voir ces acteurs nous vendre leur jeu, puisqu’ils n’ont pas grand-chose à vendre. Ce sont des sortes de fusil de Tchekhov inversé où, chaque fois que la caméra s’attarde sur quelque-chose cela n’aboutit nulle part, pas même au plaisir du spectateur.
Ensuite, niveau réalisation, c’est vraiment pas terrible. À part les quelques plans que j’ai évoqué, le reste est très banal, et la mise en scène n’évoque pas grand-chose. À aucun moment l’image est plus parlante que les acteurs. Par exemple, lorsqu’ils passent la frontière espagnole de Franco, la journaliste n’a pas le droit de s’asseoir devant et doit passer à l’arrière, parce que c’est là la place naturelle de la femelle. Une scène qui aurait été facilement faisable par l’image seule, ce qui aurait accentué la tragédie des femmes dans les dictatures fascistes. Mais non, il faut l’expliquer et l’expliciter. Autre exemple, une blague plutôt marrante qui évoque la liberté sexuelle de la période est cette scène où les journalistes de la SSR se retrouvent en pleine orgie. Mon côté jusqu’au-boutisme et voyeur aurait souhaité que la blague soit purement visuelle et non un récit moyennement drôle de cette nuit de baise.
Le montage est également très charcuté, très vif et ce inutilement. Cette scène avec le vieux raciste qui veut que le Portugal devienne comme la Suisse et ne soit pas mélangé au sang nègre (sic). En fait, la blague et le discours sous-jacent sur le racisme du régime de Salazar et de son successeur aurait bien mieux passé en plan-séquence plutôt que cette scène qui coupe ses dialogues sans aucunes raisons. Aujourd’hui encore je m’interroge ; pourquoi monter cette scène ainsi... Et si je me demande pourquoi une scène est montée par un épileptique revanchard et sadique, c’est tout le propos de la scène sur laquelle je n’accorde pas d’importance. Donc c’est très con et ça dessert complètement le propos. Idem pour la conversation téléphonique que la journaliste a avec son amant/patron. C’est visuellement dégueulasse et surtout, encore une fois, ça n’apporte rien. Comme cette soudaine scène de danse qui arrive d’on ne sait où et dont la chorégraphie est assez lamentable et très mal filmé.
Autre problème formel : les journalistes suisses passent à côté de la révolution des œillets, préférant se focaliser sur l'aide économique, et se font devancer par une équipe belge qui couvre la révolution. Mais, de petits indices sur la révolution qui se trame parsème l'image ça et là, comme cette scène dans un restaurant où un personnage fait glisser une mallette sous la table. J'aurai trouvé beaucoup plus fin de laisser la pré-révolution vraiment en arrière-plan et de ne pas zoomer sur ces indices-là. La seule conséquence que ça a sur le spectateur, c'est de faire passer ces journalistes pour de vrais teubés, puisqu'on a vu que la nana a regardé cette mallette glisser mais n'en a pas moufté mot.
Enfin, de manière générale, le film veut dire beaucoup de choses. Entre la journaliste féministe, la révolution, les liens Portugal-Suisse, le racisme, les dictatures, la technologie, la liberté sexuelle, les relations de travails, les liens avec le patronat et le politique, l’armée, le patriarcat, le sexe, le cinéma, les voyages, la musique, l’histoire, les langues, la francophonie, la poésie… Le tout en 80 minutes, on se retrouve avec un film qui veut dire beaucoup de choses, trop, et qui ne développe rien et donc, qui ne dit finalement rien. Pourquoi pas ne rien dire en vrai, mais les intentions du réalisateur étaient de dire justement pleins de trucs. Et comme il n'en dit rien, on peut donc dire qu’il ne sait pas s’exprimer et que c’est raté.
Bref, c’est dommage parce que le film a un petit côté irrévérencieux qui m’a d’abord plutôt bien emballé. On aurait pu espérer bien mieux avec moins de moyens et un meilleur réalisateur. Et ironiquement, on repense à ce que disait le conseiller fédéral au début du métrage ; les gens veulent du consensuel. Et si les petites piques bien venues contre la Confédération Helvétique font mouche, c’est dans la forme qu’on aurait voulu un film moins consensuel.
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Créée
le 8 avr. 2022
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