Après deux premiers films brut de décoffrage, radicaux, sales et malsains ( La Dernière Maison sur la Gauche et La Colline a des Yeux) Wes Craven va se perdre un peu pendant presque sept années avec des productions minimes et parfois même peu recommandables. L'immense retour va se faire en 1984 avec A Nightmare on elm Street dont il imagine le scénario à partir d'un fait divers dans lequel un gamin se privant de sommeil pour échapper à ses cauchemars sera retrouvé mort dans des conditions inexplicables après être finalement tombé de sommeil. Wes Craven y ajoute quelques souvenirs perturbants de sa propre enfance en donnant par exemple à son méchant le nom du gamin qui le maltraitait à l'école. Revisitant et dynamitant le slasher en l'entrainant dans une dimension onirique Wes Craven signe tout bonnement son meilleur film avec Les Griffes de la Nuit tout en devenant le papa de la plus iconique des rock star horrifiques avec le personnage culte de Freddy Krueger.


Les Griffes de la Nuit nous plonge dans une sage petite banlieue proprette américaine dans laquelle une poignée de jeunes adolescents sont victime de terrifiants cauchemars qui impliquent tous un même et mystérieux croque mitaine. Le cauchemar s'invite dans la réalité lorsque ses jeunes gens comprennent que si ils sont blessés ou que si ils meurent dans leurs mauvais rêves ils le seront aussi dans la réalité.


Les Griffes de la Nuit est un film qui s'appuie sur un concept tout bonnement génial à plus d'un titre faisant soudainement un pied de nez à ces tonnes de films et toutes ses scènes vues mille fois dans laquelle des éléments horrifiques sont désamorcé par un personnage qui se réveille en sursaut sur le registre "Ouf ce n'était qu'un mauvais rêve", car dans le cas présent nul ne se réveille de ses pires cauchemars. Et mettre le danger dans cette acte si banal et si commun de dormir donne au film l'universalité d'un mal propre à dévorer n'importe qui, n'importe quand et n'importe ou. En plus le film joue à merveille sur cette idée qu'il est absolument impossible de rester éternellement éveiller et que l'acte même de se reposer et de dormir qui est globalement vu comme un acte d'apaisement et de calme propre à vous ressourcer devient d'un coup la source de danger. Dans une logique implacable plus vous allez lutter contre le sommeil plus ce dernier viendra vous menacer à tout instant et plus vous deviendrez anxieux face au manque de repos plus on vous intimera l'ordre de vous reposer. Oui le concept même au cœur du film de Wes Craven est génial car si rien ne vous oblige à fumer des pétards en canoë sur Crystal Lake, à jouer au Rubik cube avec le premier casse tête que vous trouverez , à faire une virée dans un coin paumé du Texas, à faire du camping au fin fond des bois, à répéter trois fois le nom d'un mec louche devant votre miroir ou jouer avec une planche de Ouija dans une baraque sinistre ... ; en revanche jamais vous ne pourrez vous passer de sommeil et de cet état de vulnérabilité absolue que constitue votre corps inerte et inconscient livré aux ténèbres.


Les Griffes de la Nuit c'est aussi la naissance d'une fabuleuse icône de la pop culture qui se range illico au panthéon des plus fabuleux méchants de l'histoire du cinéma aux côtés de ses illustres autres tarés que sont Jason, Michael Myers, Pinhead, Chucky, Leatherface et tant d'autres. Si Wes Craven avait envisagé dans un premier temps de confier le rôle à David Warner qui se désistera pour des raison de calendrier c'est finalement Robert Englund qui va se glisser dans le pull rayé et sous le chapeau mou d'un personnage qui fera en grande partie sa notoriété et fera même de lui une véritable idole pour les fans de films d'horreur du monde entier. Même si il n'apparait finalement que très peu à l'écran et que le personnage n'est pas encore tout à fait ce qu'il deviendra par la suite Freddy Krueger est déjà bel et bien là avec sa gestuelle, son humour noir, sa silhouette si caractéristique avec notamment cette épaule droite tombante du fait du poids de ses griffes acérées et surtout cette aura démonique absolument géniale. Car avant de devenir ce croque mitaine un peu rigolo des futurs films, Freddy Krueger est une figure du mal le plus absolu ; c'est un tueur d'enfants sadique qui prend son pied à vous terroriser et qui vient vous tuer lorsque vous êtes le plus vulnérable. Il fut même un temps envisagé par Wes Craven que Fred Krueger soit également un pédophile et même si cette idée sera explicitement retirée du film il en reste indéniablement quelque chose de profondément malsain dans cette manière qu'à Freddy Krueger de s'introduire dans l'intimité de ses adolescents, de se glisser dans leurs lits pour des caresses qui prennent la forme de coups de rasoirs, d'agiter vicieusement la langue et de se dresser entre les cuisses des jeunes filles assoupies dans leur bain. Cette dimension et se rapport aux spectres de la pédophilie trouvera souvent écho dans le film avec cette manière dont les adultes refusent de croire les peurs profondes et les blessures intimes de leurs propres enfants. Cet aspect très délicat disparaitra au fil des suites et Robert Englund rejettera carrément en bloc cette ombre embarrassante autour du personnage surtout lorsque des hordes d'adolescents et de gamins se déguiseront en Freddy pour Halloween et que le personnage deviendra une idole célébré, applaudi et admiré par des fans de plus en plus nombreux . Il est vraie que la célébration des tueurs (même fictifs) pose toujours quelques problèmes éthiques et ça finit par des abrutis qui choisissent comme avatar un sombre tueur d'enfants pédophile sadique et pourri jusqu'au trognon.


Les meilleurs films de Wes Craven s'appuie toujours sur un excellent scénario avec souvent cette thématique sous jacente d'une Amérique dont les apparences trop propres cachent une culture de la violence toujours prompt à se réveiller. Freddy Krueger peut également être vu comme le spectre d'une Amérique dont l'histoire est intimement lié à la violence et la brutalité de ses pères et dont l'héritage reste un fantôme a gérer par les générations futures. Les parents de Nancy représentent cette Amérique blanche middle class, névrosé, alcoolique mais proprement respectable tout en cachant les secrets des ses débordements de violence dans les caves de leurs maisons. Mais le film ne fait pas que narrer platement une bonne histoire, il la raconte ici particulièrement bien; c'est un peu comme si Wes Craven trouvait systématiquement l'inspiration dans sa mise en scène au plaisir de ce qu'il doit nous raconter. Les Griffes de la Nuit est un film rempli de très grands moments de cinéma horrifiques et d'images fortes qui n'accusent pas trop le poids des années plus de trente ans après. La mort ultra graphique et violente de Tina, son apparition ensanglantée dans le sac à cadavre, Freddy semblant sortir d'un mur pour se pencher au dessus de Nancy dans son sommeil, la scène du bain, les bras gigantesques de Freddy dans la ruelle, les gamines qui chantent la comptine sur Freddy, les hectolitres de sang accompagnant la mort de Glen ( Johnny Depp dans un de ses tout premier rôle au cinéma) et surtout cette ambiance vaporeuse et onirique dans laquelle tout semble possible tant l'horreur s'affranchit totalement du réel.


Malgré ses nombreuses et innombrables qualités dont la musique de Charles Bernstein et un casting très réussi avec de nombreuses belles révélations comme Heather Langenkamp, Johnny Depp et donc Robert Englund (Même si ce n'est pas un débutant), Les Griffes de La Nuit n'est pas pour autant parfait. Le film se prend une fois les pieds dans le tapis entre le rêve et la réalité comme lors de la scène de la langue qui sort du téléphone dans un moment ou Nancy n'est visiblement pas endormie. Mais le plus décevant reste ce final un peu bancal, poussif et mal foutu dans lequel Wes Craven nous ressort son obsession pour les pièges en tout genre façon bricolage maison. La toute fin du film pas mal dictée par les volontés du producteur laissant la porte ouverte à d'éventuelles suites est libre à de nombreuses interprétations car finalement le plus malin avec cet univers perdu entre cauchemars et réalité c'est que tout est possible et que le récit s'affranchit grandement des contraintes de cohérence et de réalisme, rien n'est vrai donc tout reste faisable. Tout le film était il un rêve prémonitoire de Nancy ? Cette scène finale est elle le fruit d'un cauchemar de Nancy alors qu'elle dort paisiblement en croyant s'être débarrassé de Freddy ?


Mon avatar et mon pseudo le prouve j'aime énormément ce personnage amoureusement détestable de Freddy Krueger même si de manière plus pragmatique je m'appelle tout bêtement Frédéric (Fred, Fredo, Fredi) et que je suis un cas. J'aime ce rapprochement que l'on peut faire entre le cinéma et les rêves, les deux travestissent le réel pour mieux révéler nos sentiments contradictoires parfois enterrés sous les apparences, les convenances et la bonne conscience. C'est dans l'inconscient que se trouvent nos plus profondes peurs, nos plus intimes blessures, nos plus grandes émotions et Freddy Krueger représente aussi cette part d'ombre, ces pulsions morbides et malfaisantes qui sommeillent en chacun de nous. Dans les griffes du cinéphage que je suis il n-y a pas que de la bienveillance mais aussi une part de méchanceté propre à dépecer les films d'un coup de rasoir. Mais inutile de vous cacher je sais pertinemment que l'on aime tous prendre ce plaisir particulièrement jouissif à taillader un mauvais film pour le mettre en lambeaux .

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le 21 déc. 2020

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Freddy K

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