[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]
Contrepoint de Dunkirk, Les Heures sombres retranscrit l'accession de Winston Churchill (Gary Oldman) au poste de premier ministre du Royaume-Uni, et ses premières semaines au pouvoir, au moment où l'armée nazie envahit les Flandres et la France.
Je n'ai pas retenu grand-chose de la réalisation, que j'ai trouvée maîtrisée mais assez classique, voire quelconque. J'ai trouvé le film long et regardé ma montre plus d'une fois. Ce qui est le plus mis en valeur, c'est la performance de Gary Oldman dans ce rôle-pour-avoir-un-Oscar : physique, expressions, voix...
Ce à quoi j'ai réfléchi pendant le visionnage, c'est à la question suivante : qui était ce Churchill ? Le film en fait un portrait ; qu'est-ce que je retiens de ce portrait et qu'est-ce que j'en apprends ? (Est-ce un portrait à charge, ou un éloge ?)
Ce qui est clair, c'est que le film est du côté de Churchill. On insiste beaucoup sur l'opposition qu'il rencontre, ses pairs qui essaient de provoquer sa démission ont des traits classiques de « méchants », et à la fin c'est Churchill qui avait raison, sans surprise en 2018, puisque Churchill clamait, seul contre tous, qu'on ne négocie pas avec Hitler, et qu'il fallait faire la guerre.
Ce qui est moins clair, c'est ce qu'il a pour lui. Voici les qualités que nous montre le film : Churchill a de l'humour ; il est excellent orateur et habile politicien. Et les défauts : Churchill est alcoolique ; il a un très mauvais jugement ; son comportement laisse à désirer (« you are rude », lui dit son épouse). Sa seule bonne idée sur les deux heures de la projection est de réquisitionner les bateaux civils pour l'opération Dynamo.
Mon impression générale en sortant du film est que l'ami Winston n'est finalement pas pour grand-chose dans le succès du Royaume-Uni à surmonter la guerre. Il n'a pas failli en tant que premier ministre dans cette période difficile, mais l'image que l'on garde de lui, personnifiant le Royaume-Uni victorieux, m'apparaît désormais quelque peu usurpée, puisque le film, qui à l'évidence cherche à l'héroïser, n'est pas parvenu à justifier cette héroïsation par un contenu suffisant pour me convaincre.
La séquence décisive, dont j'ignore si elle est authentique [après recherches : non], montre Churchill prendre le métro pour consulter « le peuple » : négocier ou combattre ? Si la scène est d'abord drôle, les londonien.ne.s de la rame ne sachant guère comment réagir à la présence du premier ministre, j'ai trouvé qu'elle tournait ensuite au cliché, quand tout ce petit monde crie d'une seule voix qu'ils se battront jusqu'à la mort.
Pourquoi la secrétaire, Elisabeth Layton (Lily James) ? Le personnage a pu être pensé pour offrir un regard extérieur sur Churchill (de la même manière que les hobbits permettent d'accompagner la découverte de la Terre du Milieu dans la trilogie de Tolkien). Ou pour alléger (un tout petit peu) un casting très masculin. En tout cas, Layton n'est pas très approfondie ; le scénario l'utilise régulièrement pour faire dire à Churchill des choses qu'il ne dirait pas seul, mais entre ces moments, elle retourne à son statut de personnage secondaire, et j'étais presque surpris à chaque nouvelle intervention. Tout ce qu'on apprend d'elle, c'est qu'elle a un frère soldat, qu vient de mourir en France. Pas facile d'exister à côté du personnage de Churchill !...
[Quelques ajouts : ma critique ayant un certain succès, j'ai continué à réfléchir à ces Heures sombres, et il m'a semblé nécessaire d'aller creuser encore un peu.]
Alors, qu'est-ce qu'il a pour lui, Winston ? En fait, Churchill a (grosso modo, évidemment) été nommé Prime Minister à ce moment-là en raison non seulement de son habilité politique, mais aussi parce qu'il été celui qui affirmait de longue date qu'Hitler était un fou avec qui il ne faut pas négocier. À cette lumière, Churchill est bien « l'homme de la situation » naturel au moment ou tout le monde se range à cet avis. Cela ne rend pas le choix de la période montrée particulièrement intéressante. Et, cet argument étant central dans le soutien qu'apporte le roi à la fin, ce sont les premières entrevues avec His Majesty qui me paraissent factices.
Aussi, je précise que ma critique ne signifie pas que j'aurais voulu un discours univoque et héroïsant sur Churchill. Je suis ravi, au contraire, d'y trouver le terreau d'une critique du personnage. Ce qui m'a frappé, c'est l'inadéquation entre la forme et le contenu : forme héroïsante qui fait tout pour paraître méliorative, mais qui ne résiste pas à l'examen un peu attentif du contenu, en quelque sorte « trop » documenté et honnête, du moins pour servir cette volonté de mise en scène.