[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]
La réalisation de Jusqu'à la garde est très maîtrisée - tout ce que j'ai lu à propos de ce film le souligne, d'ailleurs. La mise en espace de la maligne scène d'exposition chez la juge, le doute longuement conservé (le père, Antoine, (Denis Ménochet) est-il vraiment aussi violent qu'on le dit, la mère, Miriam (Léa Drucker) a-t-elle comme lui l'affirme un comportement pas si innocent, quelles sont les motivations des enfants (Julien et Joséphine - Thomas Gloria et Mathilde Auneveux)...), le jeu sur le non-dit et le hors-champ (le père qui traite par le silence certaines questions, la scène de la fête où la musique empêche d'entendre les personnages dont on observe seulement le ballet inquiet...), la présence d'éléments inquiétants dont certains serviront (le fusil de chasse) et d'autres non (les ceintures de sécurité).
Pourtant, le film ne m'a pas plus. J'ai mis un moment à comprendre pourquoi, et je pense l'avoir identifié. Ce n'est pas parce que cette réalisation crée un sentiment de malaise et de frustration : c'est le cœur du film, et même si le suspense adopte un ton plus anxiogène/malsain que dans par exemple un film d'Hitchcock, c'est clairement le but du film, que je me suis donc efforcé de m'approprier. Je crois que ce qui coince, c'est la rencontre du sujet et du genre. Un sujet assez lourd, ancré dans la réalité sociale et l'actualité : mari et père violent, procédure de divorce, sur fond justice ni efficace ni rassurante... Quant au genre, je n'ai pas fait la comparaison avec Hitchcock par hasard : de ce drame qui vire au thriller, c'est le suspense (la recherche du thrill) qui apparaît comme le moteur. Et dans ce cas, la principale manière d'apprécier le film que vois (car, en tant que drame social, son discours est plutôt superficiel), c'est un divertissement, la recherche de sensations. Et, non, j'aime les films à suspense mais je n'arrive pas à me divertir des malheurs bien trop vraisemblables de personnages soumis par un système judiciaire défaillant à la violence d'un homme dangereux.
J'ai plus tard questionné cette analyse en me demandant en quoi ce film était différent de Panic room, que j'ai beaucoup aimé. Et effectivement, dans Panic room, les codes de genre me donnent une forme différente d'empathie avec les personnages. Je ne ressens pas de culpabilité à frissonner en me demandant comment Jodie Foster échappera à ses inventifs et pugnaces cambrioleurs dans un film qui suit les codes traditionnels du cinéma romanesque ; je me sentirais mal d'avoir du plaisir à frissonner en me demandant si l'idiote croisade finale du mari (ou le dérapage, auquel la porte reste ouverte en permanence, de n'importe quelle situation plus tôt dans le film) va finir en fait divers sordide et banal.
Pour finir, une remarque déconnectée du reste, qui porte sur une scène déconnectée du reste, celle au cours de laquelle Joséphine fait un test de grossesse. Le choix de mise en scène est fort et bien trouvé, en plan fixe sous une porte de WC, au cours de laquelle l'information arrive grâce aux maladresses de Joséphine qui fait tomber la boîte par terre. Deux aspects de cette scène font cependant que je l'apprécie peu. D'abord, parce que, je suppose que la sous-intrigue à laquelle elle participe, la romance entre la Joséphine, sert à suggérer la possibilité d'une histoire qui se répète, ou pas (l'amoureux de Joséphine, Samuel (Mathieu Saikaly), a l'air bien gentil, même leur relation perturbe les études de Joséphine et qu'une grossesse non-désirée vient compliquer les choses) ; mais cette sous-intrigue est trop légère, ce test de grossesse n'ayant d'ailleurs aucune conséquence. Je peux deviner l'effet recherché, mais même ainsi il me paraît absent. L'autre raison, c'est que la « scène du test de grossesse » est devenu une sorte de poncif cinématographique, et donc, si elle n'est pas spécialement justifiée par l'intrigue, m'ennuie, tout simplement parce que j'en ai trop vues...