La Première Guerre mondiale, vue depuis le front en 1916 où les troupes italiennes se sont fait décimer par l'armée autrichienne. Dans sa volonté de montrer la folie des hauts gradés qui conduisirent des milliers de soldats à l'abattoir, il est difficile (pour ne pas dire impossible) de ne pas relier ce film de Francesco Rosi au classique de Kubrick, Les Sentiers de la gloire, sorti pourtant 13 ans plus tôt. Le schéma de la démonstration est très différent mais le sujet est très similaire puisque Les Hommes contre s'attachera à suivre la destinée de deux officiers, dans des degrés divers d'idéalisme, opposés à leur commandement sous la personne du général Leone — un illuminé entêté dans son obsession, assez éculée dans ce contexte de guerre de tranchées, de reprendre une position perdue par ses troupes. Dans le rôle de cet idiot auteur d'un nombre incalculable d'opérations suicides, Alain Cuny est très bon même si son personnage correspond un peu trop à la caricature du général borné et tortionnaire.
Gian Maria Volonté est le plus discret des deux lieutenants de l'opposition, c'est la facette socialiste de l'idéalisme qui entamera une rébellion contre son état-major (suite à une réaction pour le moins surprenante des ennemis autrichiens, eux-mêmes lassés de s'adonner à un tel carnage) et qui périra sur le terrain. Mark Frechette (comme un cousin éloigné d'Alain Delon à l'époque) investit quant à lui l'autre face de l'opposition et incarne un bourgeois nationaliste, à l'origine un jeune lieutenant plutôt conforme à l'idéal militaire, convaincu du bien-fondé de la guerre, qui déchantera rapidement devant la stupidité de la gestion des opérations. Il ira même jusqu'à provoquer une insurrection dans ses rangs, ce qui lui vaudra la plus haute sentence de la cour martiale — un final sec, froid et brutal au fond d'une triste carrière à ciel ouvert. La séquence de la meurtrière (une fente à travers laquelle un sniper ennemi tire régulièrement) où il fait passer l'œil de son supérieur s'accompagne d'une tension notable, très vive.
Les deux figures sont globalement peu novatrices mais restent très pertinentes, comme peut éventuellement en témoigner le procès pour dénigrement de l'armée dont le film fut l'objet (l’Italie détient à ce titre le triste record du plus grand nombre de fusillés pour divers manquements durant cette guerre). C'est une vision intéressante de la lutte des classes dans les tranchées, qui met en exergue l'opposition entre chair à canon des classes laborieuses et rêves patriotiques insensés des aristocrates. Le traitement est parfois un peu insistant pour montrer l'asymétrie du pouvoir entre ceux qui le détiennent et ceux qui le subissent, avec une incompétence notoire des officiers identifiés comme les responsables quasi fanatiques des massacres. Mais l'ensemble est très bien contrebalancé par une atmosphère soignée : lumières livides, brumes éparses, hiver glacial, boue et poudre, et plus généralement un climat apocalyptique prenant. À noter cette séquence ahurissante, entre comédie et boucherie, de soldats cobayes à qui on fait porter des armures blindées ("vous êtes invincibles comme les guerriers romains") se faisant dézinguer comme les autres malgré tout.
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